Note sur le projet de programme de français, Denis Paget


rédigée le 24 septembre 2018

Denis Paget était, jusqu'à ces derniers jours, le plus ancien membre du CSP. Il a résisté aux différents coups portés, pour continuer à agir de l'intérieur, autant que possible, même si c'était bien peu depuis quelques mois. Il a suivi tout particulièrement les travaux du groupe d'experts sur les programmes de français. Tout en remerciant les quelques personnes du groupe qui ont beaucoup oeuvré pour sauver quelques points de ces programmes qui auraient pu être encore plus régressifs, il livre son analyse dans ce texte qu'il autorise l'AFEF à publier. Il a quitté le CSP le 13 octobre. Qu'il soit remercié pour le travail qu'il a mené, et son soutien à l'enseignement du français.

 

"Comme tout compromis entre des positions parfois très antagonistes dans le GEPP, le projet me semble marqué par des pas en avant et des pas en arrière qui laissent des problèmes non résolus.

Le projet me semble imprégné de l’idée qu’une structuration des objets d’étude par grands genres littéraires et selon un axe chronologique faisant largement appel à l’histoire littéraire serait l’alpha et l’oméga de la culture commune du lycéen . Ce choix était déjà esquissé par le programme de 2010 qui rompait avec une structuration, amorcée au début des années 2000, croisant l’étude des genres avec diverses perspectives dominantes ou complémentaires. Les intitulés de la classe de première en 2010 spécifiaient cependant une perspective d’étude (le personnagepour le récit, la représentationpour le théâtre, la question de l’hommepour l’argumentation etc) qui limitait l’amplitude des études possibles. Si l’histoire des mouvements littéraires et artistiques est évidemment essentielle, s’imaginer qu’on pourra ainsi restituer une sorte de continuité qui donnerait sens aux études littéraires est une vue de l’esprit. L’on peut seulement envisager quelques balises dont l’objectif consisterait à montrer les liens cachés entre une société et ses productions artistiques et culturelles, à contextualiser les continuités et les ruptures sur quelques exemples. Le professeur de français n’est pas d’abord un professeur d’histoire de la littérature comme un professeur de philosophie n’est pas d’abord un professeur de l’histoire des idées.

Ce nouveau projet efface totalement ces perspectives d’études limitatives et renforce fortement l’approche historique par l’obligation d’accompagner l’étude d’œuvres complètes d’un « parcours d’histoire littéraire » organisé de façon chronologique. Il impose également une forme particulière de l’explication des textes reposant sur une analyse linéaire en rupture totale avec les formes de lecture méthodique et analytique en vigueur depuis des décennies ; analyse linéaire qui n’est même plus exigée au CAPES et à l’agrégation où elle était autrefois pratiquée (au CAPES, la définition des épreuves précise que « la méthode d’explication est laissée au choix du candidat). Si l’on peut souscrire aisément à la critique des dérives, parfois constatées, de cours de français essentiellement consacrés au repérage aride de figures de rhétoriques ou de divers procédés lexicaux ou syntaxiques qui font perdre l’essentiel du sens de l’œuvre, on ne saurait pour autant se contenter d’un retour au subjectivisme ou à l’explication des textes par l’histoire et la biographie des auteurs. Or le projet reste muet sur l’apprentissage des outils d’investigation du texte à la portée de tous les lycéens.

Proposition : supprimer « analyse linéaire » et reprendre la formule : « la méthode d’explication est laissée au choix du professeur », centrée sur le sens, elle évitera le technicisme et le formalisme excessifs.


La rotation par quart d’oeuvres imposées en 1ère  fera sans doute grincer quelques dents. Elle renoue avec un dispositif qui a déjà existé. Elle répond au souhait d’éviter la « littérature de hall de gare » et d’inciter les élèves à la lecture d’œuvres présentant une véritable qualité littéraire. Elle présente cependant l’inconvénient d’une sorte de standardisation culturelle ; pendant 4 ans, tous les lycéens de France auront étudié les mêmes œuvres et les éditeurs auront inondé le marché de fascicules de qualité discutable…

Ce qui pose problème c’est la faible place accordée aux littératures étrangères francophones ou non.

Proposition : on pourrait proposer que les professeurs veillent, dans les parcours d’histoire littéraire, dans les groupements complémentaires et dans les lectures cursives à présenter des extraits d’œuvres majeures du patrimoine littéraire européen et mondial en langue française et étrangère traduite; on pourrait ajouter qu’ils veilleront également à la présence d’auteurs femmes.


Le projet est porteur d’une prise de conscience que le cours de français est aussi un cours de langue française avec l’intéressant développement sur l’étude de la langue, assez congruent avec les programmes de la scolarité obligatoire. La question posée à l’oral devrait conduire les professeurs à prendre au sérieux cette partie de la formation. Mais il faut être conscient que ce rééquilibrage va poser des problèmes de temps. Par ailleurs, la transformation de l’épreuve orale donnant l’initiative à l’élève pour la première partie de l’épreuve et valorisant le « carnet personnel » pour la deuxième partie permet de sauver une approche moins centrée sur les exercices académiques, compensation de la suppression, regrettable à mon sens, de l’exercice d’invention qui aurait pu être réaménagé. L’espace d’expression personnelle du carnet personnel, assez bien cadré, même si de nombreuses interrogations surgiront probablement sur la notion d’ "écrits d’appropriation », est une très bonne idée. Je crains cependant que la transmission aux examinateurs du dossier personnel de l’élève ne pose de redoutables problèmes logistiques et n’oblige les examinateurs à une préparation encore plus longue qu’aujourd’hui (avec la question soumise au candidat). On peut craindre également un certain désinvestissement des élèves qui auront choisi à l’avance leur objet d’étude et les textes présentés à l’oral.

La rançon de ces compromis c’est l’absence de réelle progression 2nde, 1ère, et l’extrême lourdeur de ce qui est demandé, en seconde comme en première. La diversité des activités écrites et orales va placer les professeurs devant des choix impossibles pour tenir le programme. On ne peut pas travailler tous les exercices du bac en classe de seconde, sauf à s’éparpiller sans cesse. Leur nombre est de fait augmenté avec l’apparition des exercices de contraction et d’essai, dès la seconde, car l’on ne saura pas en seconde qui passera ou non en série technologique avant la fin du 2èmetrimestre au mieux, et la préparation du dossier et du carnet personnel pour tous comprenant un écrit d’appropriation. En seconde l’expression écrite et orale repose sur 12 types d’exercices travaillés successivement en fonction des objets d’études ou toute l’année pour certains (lecture expressive, explication linéaire, exposés, commentaires de textes, écrits argumentatifs divers, essai, débat, discours épidictique, judiciaire ou délibératif, dissertation, jeu théâtral).

Les professeurs devront en outre travailler en classe sur 4 objets d’étude, accompagnés de 4 parcours d’histoire littéraire (au minimum 3 ou 4 textes), de 4 prolongements artistiques et/ou groupements de textes complémentaires ; ils devront également exploiter et vérifier les 4 lectures cursives et procéder à 8 évaluations sommatives par an sur les épreuves du bac. 

L’ensemble est très lourd pour les élèves comme pour les professeurs.

Propositions : alléger. Plusieurs possibilités : supprimer un objet d’étude en seconde ? réduire le nombre de couplages, oeuvres complètes+ parcours d’histoire littéraire + parcours artistique et culturel ou groupements complémentaires en n’exigeant pas de parcours d’histoire littéraire pour tous les objets d’étude. Renvoyer en 1ère la formation à l’exercice spécifique aux séries technologiques.

 

Enfin je voudrais exprimer ma déception de voir partir les objets d’études présents dans l’enseignement d’exploration de seconde « littérature et société ». De nombreux enseignants y ont innové une nouvelle approche extrêmement intéressante et mobilisatrice pour les élèves. On n’en retrouve que très peu de traces dans le projet de programme : l’engagement des écrivains, l’évolution des écrits et de la parole publique, le rapport entre texte et image, l’analyse des médias et des modes de communication de masse, les regards sur l’autre, les problèmes liés à la publication et à la réception des œuvres, les usages sociaux de l’écrit et de l’oral etc. 

On y reviendra peut-être dans un futur improbable…"

Denis Paget

Soumis par   le 17 Octobre 2018