L’éducation, un grand flou dans la présidentielle


Lettre ouverte aux candidats

Version téléchargable et imprimable
 

Parce que nous travaillons depuis longtemps à la démocratisation d’une École qui puisse prendre chaque enfant là où il en est pour l’élever le plus haut possible, parce que nous avons espoir en l’École pour construire ensemble une justice sociale fondée sur le développement d’un capital langagier pour tous et par chacun, nous observons avec effarement le gommage des sujets d’éducation dans les programmes et débats de la présidentielle.

 

Le quinquennat qui va s’achever en mai s’est ouvert sur un discours remarqué du président Hollande sur l’éducation. Où en sommes-nous cinq ans après ?

De réelles avancées ont eu lieu. Le Conseil supérieur des programmes mis en place a réorienté les domaines du Socle commun que tout élève est censé avoir atteint à la fin de la scolarité obligatoire, notamment en accordant une importance nécessaire à la maitrise des langages ; et il a élaboré pour l’ensemble du primaire et du collège des programmes progressifs, établissant une cohérence entre les cycles et les domaines disciplinaires. La formation des enseignants, qui avait été totalement supprimée par les gouvernements précédents, comme si enseigner n’était pas une profession relevant de compétences qui s’apprennent, a été partiellement remise en route au sein des ÉSPÉ.

 

Mais nous sommes loin du compte.

En primaire, la réforme des rythmes scolaires a mélangé le redéploiement de la semaine scolaire sur cinq jours, nécessaire pour permettre une meilleure répartition et répétition des apprentissages, avec une réorganisation des temps périscolaires, souvent perçue comme trop lourde et couteuse.

Les programmes dont nous avons salué l’intérêt et la cohérence ont dû, pour des raisons d’urgence politique, être tous mis en œuvre la même année alors qu’une progressivité aurait été préférable. La réforme du collège, à la même rentrée, a augmenté le brouillage, faute d’un temps de préparation nécessaire à une application raisonnée. Maintenant, que faisons-nous pour évaluer, réajuster ces programmes et cette réforme si nous ne voulons pas qu’ils soient dévoyés ?

La formation professionnelle, dont l’intérêt a bien été réaffirmé, est notoirement insuffisante, autant en début de métier qu’en cours de carrière. La volonté d’augmenter le niveau de recrutement au niveau du master n’a d’intérêt que si elle permet d’assurer une véritable formation professionnalisante ; sinon elle court le double risque de consolider l’enfermement de la profession dans le cadre de connaissances purement académiques, et d’éloigner les futurs enseignants des milieux populaires dont ils sont de moins en moins issus. Former les enseignants aux évolutions du métier, à savoir prendre chaque élève dans sa spécificité, et les aider tous à apprendre, est la condition indispensable à une véritable démocratisation de l’École. Cette formation demande des moyens et du temps, ce ne sont pas quelques saupoudrages qui permettront l’adaptation professionnelle des enseignants.

 

Et que lisons-nous dans les programmes quand il s’agit d’éducation ?

Alors que les études internationales soulignent le creusement des inégalités dans le système scolaire français, permettez-nous de douter des quelques mesures phares qui nous sont livrées.

La gestion économique par le nombre de postes à ajouter ou supprimer réduit l’éducation à un service que l’État pourrait rendre en quantité plus ou moins importante selon les moyens dont il dispose, comme s’il s’agissait de fournir un peu plus ou moins de bien être, sans tenir compte des besoins intellectuels et culturels des êtres en devenir dont il a la responsabilité.

Le financement des établissements privés hors contrat (au mépris de l’obligation nationale imposée par l’attribution de ressources publiques), les promesses de conséquentes suppressions de postes, l’autonomie des établissements, redistribuent honteusement les moyens au détriment de ceux qui en ont le plus besoin.

La simplification des contenus d’enseignement affirmée comme un remède miracle prolonge une illusion populiste : qui peut encore croire que lire, écrire, compter soit simple et suffisant, et que cela s’acquière par magie avec un nombre d’enseignants en baisse ?

Les menaces d’élimination de la « pédagogie », frontales ou masquées, sont insupportables tant elles entachent d’indignité une longue tradition philosophique, de Socrate, Montaigne, Rousseau aux philosophes de l’éducation de ces deux derniers siècles, dont sont héritières les recherches scientifiques contemporaines. Quelle démagogie que de soutenir qu’il n’est nul besoin de savoir-faire spécifiques pour exercer une « liberté pédagogique » qui rime alors avec vacuité !

La réduction drastique des effectifs dans les premières classes du primaire, mesure louable si elle est réalisable, aurait besoin pour être rapidement suivie d’effets d’une réflexion sur les objectifs de l’école : quelle incidence peuvent avoir des objectifs purement libéraux sur la justice scolaire et la démocratisation ?

L’organisation de structures de soutien, même à l’intérieur de l’école, fait courir le risque d’externaliser le traitement de certaines difficultés hors de la classe, comme si une partie des élèves, le plus souvent issus de milieux populaires, devait relever d’un traitement particulier auquel le collectif de la classe ne devrait ni ne pourrait répondre.

Quant à l’annulation pure et simple de la réforme du collège déjà enclenchée, associée à une énième réforme de programmes, quel gâchis, alors que des évolutions efficaces mais précaires sont en train de se mettre en place !

 

L’éducation n’est pas un sujet secondaire qui ne concernerait qu’une frange de la population, elle est une condition essentielle de l’élévation des niveaux de qualification que les secteurs économiques appellent, elle est une condition essentielle de l’élévation des niveaux culturels et intellectuels qui permettent, mieux que les logiques sécuritaires, d’assurer une vie collective et citoyenne plus sereine. À réduire l’éducation à des questions économiques, à la contenir dans le nombre de fonctionnaires qu’il faudrait supprimer, s’imposerait la conception d’un monde économique qui n’aurait pas besoin des êtres humains. La société française laisse sur le côté une trop grande partie de la population, et nous ne pouvons pas continuer à suivre la courbe ascendante des écarts sans rien dire et sans rien faire. La paix sociale est impossible sans une justice sociale dont l’éducation est partie prenante.

 

Les débats et programmes de la présidentielle s’honoreraient grandement à ne pas oublier que l’éducation est l’affaire de tous, et qu’elle doit être débattue, non pour arriver à un improbable consensus, mais pour que la société fixe les objectifs qu’elle estime indispensables à son École, et qu’elle lui donne les moyens et la liberté de les appliquer. Nous avons la conviction que les êtres humains peuvent vivre plus harmonieusement dans un monde plus juste s’ils peuvent apprendre à mieux comprendre, parler, penser, écrire. Un projet politique équitable ne devrait pas oublier cette conviction. Mettons l’École et la formation des futurs citoyens au cœur de la campagne présidentielle pour lui redonner du sens !

 

Le 15 mars 2017

Viviane Youx, présidente de l’AFEF
(Association française pour l’enseignement du français)

Soumis par   le 15 Mars 2017