Lecture et analyse du Rapport Filâtre


Par Yves Zarka et Gérard Malbosc

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Lecture et analyse du Rapport Filâtre

 

« Vers un nouveau modèle de formation tout au long de la vie », Rapport sur la formation continue
Comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants et personnels d’éducation, remis en novembre 2016  par Daniel Filâtre à la Ministre de l’Éducation.
Lire le rapport sous ce lien.

 

Daté de novembre 2016, ce rapport est celui du Comité national de suivi de la réforme de la formation des enseignants et personnels d’éducation. Après s’être consacré à la mise en place des masters MEEF au sein des ESPE, le Comité a décidé « d’aborder la réforme dans une approche globale d’une formation tout au long de la vie (FTLV) des professeurs et autres personnels, d’en considérer les temporalités et d’en définir certaines modalités ou principes » (introduction du rapport).

Saluons comme il convient cette heureuse initiative, sans pour autant renoncer à en souligner les limites et les insuffisances, pour que le débat ne faiblisse pas.

 

Tout au long d’un rapport structuré en 3 parties :

Partie 1 – Considérer la formation à partir de l’exercice du métier et du développement professionnel

Partie 2 – Considérer la formation comme un continuum

Partie 3 –Construire le modèle de FTLV des enseignants et personnels d’éducation


Voici la liste des 17 recommandations :

Recommandation 1 – Expliciter les attendus de la profession au-delà des principales compétences professionnelles décrites dans le référentiel des métiers du professorat et de l’éducation.

Recommandation 2 – Affirmer que la formation continue devient constitutive du métier d’enseignant.

Recommandation 3 – Intégrer dans la formation tout au long de la vie les évolutions de la professionnalité enseignante.

Recommandation 4 - Envisager le caractère nécessairement continu du développement professionnel où, tout au long de sa carrière, l’enseignant doit être en mesure de conforter en permanence ses compétences, d’adapter celles-ci aux évolutions sociétales et aux attendus de la Nation, de consolider en permanence ses capacités réflexives, d’enrichir ses pratiques.

Recommandation 5 - Considérer les professeurs et les personnels comme des professionnels « acteurs » de terrain pour initier de nouveaux programmes de formation.

Recommandation 6 - Considérer la FTLV des professeurs et des personnels d’éducation autour de 3 périodes : une phase de préprofessionnalisation en Licence, une phase de formation initiale en Master et l’accompagnement dans l’entrée dans le métier, une phase de formation et de développement professionnel continu.

Recommandation 7 - Renforcer la préprofessionnalisation et la spécialisation progressive en Licence pour tous les étudiants qui dès ce stade, envisagent de devenir enseignants, afin de consolider leur choix et de préparer la suite de leur cursus en Master.

Recommandation 8 – Proposer aux autres candidats aux concours de l’enseignement, des modèles de formation et de préparation solides, ambitieux et conformes aux attendus du concours et aux compétences visées telles qu’elles figurent dans les maquettes des deux premiers semestres du Master MEEF.

Recommandation 9 - Prolonger la formation initiale par des acquisitions complémentaires afin d’assurer la maitrise des compétences professionnelles tout au long des premières années d’exercice.

Recommandation 10 – Veiller à ce que la charge de travail lors de l'année de stage permette au stagiaire à la fois de se consacrer à son premier enseignement en responsabilité et de se former de manière solide, réaliste et sereine.

Recommandation 11 – Concevoir et instaurer, dans le prolongement de la formation initiale, une démarche d’accompagnement et de formation lors de l’entrée dans le métier.

Recommandation 12 – Construire le dispositif de formation continuée et continue des enseignants et personnels d’éducation sur des principes équivalents à ceux de la Formation Initiale universitaire.

Recommandation 13 – Proposer aux enseignants une formation continue qualifiante et diplômante.

Recommandation 15 – Concevoir les nouveaux dispositifs de formation en favorisant les expérimentations et le développement professionnel des enseignants.

Recommandation 16 – Conforter des modèles de formation fondés sur les démarches scientifiques, favorisant le transfert des travaux de recherche afin de susciter et d’accompagner l’évolution des pratiques professionnelles.

Recommandation 17 – Intégrer, dans tout dispositif de formation continue, la dynamique des collectifs professionnels et partir des problèmes tels que les professeurs ou autres personnels les expriment.

 

Qu’y trouver à redire ? Rien.

Appuyé sur des comparaisons internationales, des enquêtes et des auditions de divers acteurs, ce rapport apparait comme un catalogue de bonnes intentions et de vœux pieux, maintes fois rabâché et auquel bien entendu on ne peut que souscrire.

L’analyse de l’existant y est à la fois rigoureuse et sévère : à juste titre si l’on se réfère d’une part aux insatisfactions récurrentes exprimées par tous les acteurs concernés par la formation des maitres ; d’autre part aux performances un peu décevantes d’un système éducatif français que nous avons cru longtemps le « meilleur du monde ». Les idées énoncées sont frappées au coin du bon sens et assez peu originales puisqu’elles se contentent de récapituler la somme d’informations recueillies sur le sujet.

 

C’est donc « en creux » qu’il faut aussi le lire.

Le premier absent de ce rapport est l’École elle-même. Par cette remarque figurant dans un sous-titre,

« 1-1 Clarifier les attendus de la Nation vis-à-vis de ses enseignants »,

le rapport Filâtre élude la question première : qu’est-ce que la Nation attend de son École ? Comme si la réponse y avait déjà été apportée et qu’elle était unanimement partagée.

Or c’est loin d’être le cas, en dépit d’une prescription institutionnelle tout autant abondante que récemment actualisée. En témoignent les critiques qui ont déferlé, y compris venant d’horizons intellectuels inattendus (de Jack Lang à Régis Debray en passant par François Bayrou ou Luc Ferry), au moment où se préparait la réforme du collège 2016. Et à l’heure où l’opposition politique annonce – avec quelle crédibilité ? – qu’elle annulera cette réforme, elle-même lancée presque à l’improviste à la faveur de l’arrivée du troisième ministre de l’éducation nationale du quinquennat présidentiel : en effet, la loi de refondation de l’école la République de 2013, dite loi Peillon, n’en avait absolument pas annoncé les contours.

Faute de savoir ce que la Nation attend de son École, il devient très délicat de définir ce qu’elle attend de ses personnels d’enseignement et d’éducation.
 

Ce qui manque ensuite à ce rapport, ce sont des propositions concrètes qui pourraient illustrer et préciser plus clairement des recommandations au demeurant fort intéressantes. Les lignes qui encadrent ces recommandations ne font que développer à chaque fois l’idée princeps, la reformuler, y apporter un retour aux analyses qui y sont présentées. Mais rien de précis.

Par exemple, le rapport affirme à bon escient la nécessité d’un double continuum : celui qui encadre la formation professionnelle initiale (de la préprofessionnalisation dès la licence aux premières années de l’entrée dans le métier) ; celui qui va de ces premières années jusqu’à la fin de la carrière (encore que celle-ci soit ignorée, tandis qu’on s’achemine vers des durées qui vont bientôt dépasser les 40 années !). Mais quid du contenu exact de ce qui va entrer dans ces continuums : on aurait aimé, à défaut du détail qui sera en effet à construire, quelques pistes éclairantes. Regrettons par exemple qu’à force de prôner l’alignement sur le modèle universitaire, on n’en prenne que les plus mauvais côtés. Et rien n’est dit des contenus, du nombre d’heures de formation dans les domaines nécessaires ni des modalités de travail pour l’acquisition de ces contenus.

Certes, le rapport propose – voici qui est concret – de favoriser la délivrance de certifications universitaires en appui de la formation continue : mais pour que les enseignants en fassent quoi ? Au moment où l’on vient de créer le CAFFA[1] dans le second degré sur le modèle du CAFIPEMF[2] du premier degré, c'est-à-dire un examen purement interne et une certification strictement délivrée par l’employeur ? Quel paradoxe !

Autre exemple : le rapport affirme la nécessité de transférer les travaux de recherche pour accompagner les évolutions professionnelles ; on peine pourtant à trouver le début du commencement d’une proposition concrète, et tandis que le rapport dénonce à juste titre un modèle de formation tant initiale que continue très fortement de type « top-down ». Qu’on se gargarise sur la promotion de la recherche en éducation dans la formation des maitres, passe, mais que rien ne soit dit sur l’impérieuse nécessité de développer l’ingénierie pédagogique et éducative pour y initier les personnels – par homologie –, voilà qui est plus troublant.
 

Enfin, le troisième grand absent de ce rapport, c’est le système d’encadrement et d’accompagnement que nécessite à l’évidence la mise en œuvre de ses utiles recommandations.

Rendons-lui grâce cependant d’avoir insisté sur la nécessité de revoir le modèle actuel de la formation continue en parlant de proximité, de collectifs professionnels, d’inter-catégorialité, en promouvant une approche un peu plus de type « bottom-up ».

Cependant, aucune critique n’est formulée sur le modèle économique dépassé des Plans académiques de formation éminemment bureaucratiques.

Et le silence est encore plus assourdissant sur le nouveau rôle qui devrait être attendu des corps d’inspection et de la synergie à construire avec les différentes catégories de formateurs. Comment peut-on faire une telle impasse ? Il est vrai que, cantonnés à l’origine au contrôle de conformité dans une vision presque exclusivement individuelle, les inspecteurs sont juste appelés à devenir ceux qui, en collaboration avec les chefs d’établissement, vont simplement déterminer ceux des personnels qui vont pouvoir avancer en échelons un peu plus vite que les autres. Quel gâchis, quelle dérision !
 

Pour finir sur une note plus légère, soulignons un point de vocabulaire.

Le rapport Filâtre pointe ceci, en titre de la partie 1 :

Partie 1 – Considérer la formation à partir de l’exercice du métier et du développement professionnel

Or l’expression « développement professionnel », héritée du monde anglo-saxon pour désigner plus banalement la formation continue, semble à son tour dépassée, si l’on en croit cette citation extraite d’un rapport international très récent :

« Notably, there has been a shift in language over the last few years, so while the term “professional development” continues to be used, there is a move towards, and increasing preference for “professional learning”. This better captures the active involvement of the educator in their own learning (Stoll et al.,2012) and nature of adult self-regulated learning (Brandsford et al., 2000) that is likely to be necessary in a world which requires teachers to be knowledge workers and schools to be learning organizations.” (Kools, M. and Stoll L. (2016), “What Makes a School a Learning Organization?, OECD Education Working Papers, No. 137, OECD Publishing, Paris.)

Sommes-nous, comme souvent, en retard d’une formule, ou carrément d’une réforme ?

 

Yves Zarka - Gérard Malbosc, CA de l’AFEF



[1] Certificat d’aptitude aux fonctions de formateur académique

[2] Certificat d’aptitude aux fonctions de maitre formateur, héritage de l’Ecole normale d’instituteurs

Soumis par   le 17 Mars 2017