Hommage à Chantal Dulibine


Par Isabelle de Peretti

DulibineChantal Dulibine nous a quittés au seuil de cette année scolaire, en septembre dernier. Chantal était une amie, pleine de créativité et de fantaisie, d’exigence et de rigueur, une « compagne de route » depuis plus de trente-cinq ans, entre collaborations aux Cahiers Pédagogiques (co-coordination du n° 263 « Faire classe sans faire cours », en 1988) et au Français aujourd’hui, entre académie de Créteil, Paris et plus récemment Arras où elle est intervenue dans une journée d’études sur le théâtre à l’université d’Artois (2014). Chantal était profondément attachée à la rénovation des pratiques de classe comme en témoigne sa longue responsabilité aux Suppléments du Français aujourd’hui et elle fut une pionnière pour la didactique du théâtre « en classe entière », selon le titre du livre co-écrit avec Bernard Grosjean, Coups de théâtre en classe entière au collège et au lycée (2004/2018) : ses travaux et ses très nombreux articles font date (cf. également L’École des Lettres). 

 

            Je n’en évoquerai que quelques-uns, parus dans notre revue Le français aujourd’hui. Ainsi, son article du n° 103 de septembre 1993 « Jouer mais pas sans dire » est emblématique de sa démarche, qu’elle s’attache comme ici à une pièce contemporaine, Dissident il va sans dire (1978) de Michel Vinaver, ou ailleurs à un corpus patrimonial (pièces de Racine, de Shakespeare etc.). Son travail s’inscrit dans les exigences institutionnelles (préparation aux épreuves de l’Épreuve Anticipée de Français, en l’occurrence en 1993 à la « question d’ensemble »), tout en accordant une grande place à l’approche du texte par des modalités de mises en voix et en jeu très variées, réalisées en classe entière (proférations de répliques de la pièce, théâtre-image, etc.) et par de nombreux travaux d’écriture créative (lettre à l’auteur, répliques supprimées du texte à imaginer, etc.), selon des dispositifs qui s’adaptent aux contraintes de l’espace-temps scolaire et articulent lecture du texte dramatique, approche dramaturgique, jeux et écriture. 

 

            Christophe Ronveaux, dans le n° 45 de la revue belge Enjeux (1999), s’interrogeant sur « l’articulation du littéraire au corps » et se demandant si les liens entre le texte littéraire et la mise en voix et en jeu avaient disparu du paysage didactique, rend un bel hommage à Chantal Dulibine, à cet article de 1993 comme à ceux des Suppléments 112 (1996) et 121 (1998) : « Tributaires des années septante sur le jeu dramatique, les  « exercitations » qu’elle propose […] parce qu’elles intègrent les données du contexte de la classe, sont d’une efficacité remarquable. La mise en jeu vise à « élargir le champ de réception du texte » […] par une connaissance « sensible » (par l’oreille, par la bouche et par les yeux) […]. » 

 

            Vingt ans après, dans l’article co-écrit avec Bernard Grosjean « Former les enseignants à la transmission du langage théâtral : déplacer des « représentations » pour le n° 180 du français aujourd’hui (2013), elle constate chez les enseignants la persistance de représentations tenaces et stéréotypées concernant les pratiques professionnelles de référence du théâtre, qui, malgré plus de 70 ans de travaux et d’actions autour de la démocratisation de la culture, font obstacle à la mise en œuvre d’une pratique théâtrale adaptée au contexte scolaire. Car il ne s’agit pas (ou rarement) de produire un grand spectacle, mais bien « de savoir comment on le fait avec des élèves, si on veut en tirer des vertus émancipatrices et épanouissantes » à savoir « […] engager tous les élèves dans des essais de mises en jeu, courts mais intenses, inscrits dans l’ordinaire de la classe » pouvant aller, selon les cas, jusqu’à la construction de petites formes théâtrales à présenter à un public. « Comme en classe, une grande part de notre activité consiste à faire désirer la lecture ou l’interprétation des textes, par exemple en les donnant d’abord à entendre ou à proférer par bribes, ou en montrant comment le théâtre tient un propos en répondant à des problématiques existentielles […]. » Aux résultats de cette analyse des représentations-obstacles des enseignants, succède un exemple très stimulant de séquence de jeu autour de Roméo et Juliette, conçue avec des enseignants en formation et mise en œuvre dans les classes. 

Des travaux, nourris par une très solide culture théorique articulée à des pratiques d’atelier, qui gardent toute leur actualité.

Chantal nous manque. À son mari, Bernard Grosjean, à ses fils, à tous ses proches, nous adressons toutes nos condoléances.

Isabelle de Peretti

 

 

Biblio évoquée

Pour le FA

- Suppléments au Français aujourd’hui, numéro 112, avril 1996, p. 16-18 ; numéro 121, avril 1998 ;

- DULIBINE, Chantal, « Jouer mais pas sans dire », Le français aujourd’hui, n° 103, juin 1993, p. 54-60.

- DE PERETTI, I. (2004). Spleen : une séquence sur l’autorité, Le Français Aujourd’hui, supplément au n°145, 21-23.

- DULIBINE, Chantal et GROSJEAN, Bernard, « Former les enseignants à la transmission du langage théâtral. Déplacer des représentations ? », Le français aujourd’hui, n° 180, 2013, p. 121-135.

 

Ailleurs

- BONNE DULIBINE, C. et DE PERETTI, I. (1988). Faire classe sans faire cours, Cahiers Pédagogiques, 263, 9-39.

- DULIBINE, C et GROSJEAN, B., Coups de théâtre en classe entière, Champigny sur Marne, SCÉRÉN/CRDP, 2004, réédité chez Lansmann en 2018.

 

Intervention de Chantal Dulibine à la journée d’étude : 

Pour en finir avec le conflit scène/texte : manières d'enseigner le théâtre en classe entière de l’école au lycée (Équipe « Praxis et esthétique des arts »), Université d’Artois, Arras, Maison de la recherche, 22 janvier 2014.


 

 

Soumis par   le 25 Octobre 2021