'Grilles de référence pour la mise en oeuvre du socle commun de compétences


Publication des nouvelles grilles - Janvier 2011

 

Janvier 2011, publication des nouvelles grilles de références pour la mise en œuvre du socle commun de compétences.



Relire le précédent article de Dominique Seghetchians sur le sujet :"Où en sommes-nous de l'approche par compétences

 

En janvier 2011, le ministère a publié sur le site Eduscol de nouvelles grilles de référence pour la mise en œuvre du Socle commun (palier 1palier 2palier 3). Ce billet n’a pas la prétention d’en présenter une analyse exhaustive. Il s’agira seulement de quelques remarques centrées sur la grille concernant la maitrise de la langue.

Une rupture dans la progression entre le premier et le second cycle :

Une première remarque s’impose : les grilles, tout comme le livret personnel de compétences (arrêté du 14 juin 2010), font apparaitre une différence entre les entrées de l’école élémentaire et celles du collège. A l’école primaire, les champs sont présentés dans l’ordre « dire-lire-écrire » tandis qu’au collège nous trouvons l’ordre « lire-écrire-dire ». Cette différence souligne une rupture dans le curriculum. En effet, l’entrée dans la langue, pour le petit d’homme, passe d’abord par l’acquisition d’une maitrise orale de sa (ou ses) langue(s). C’est équipé de ce fonds qu’il pourra entrer dans l’univers de l’écrit. Quant au développement des capacités de l’écrit, il est généralement plus rapide en réception (lecture) qu’en production (écriture) ; en effet pour cette dernière capacité les tâches liées à l’invention et à l’organisation alourdissent la charge cognitive.

Dans le même ordre d’idée, les grilles des paliers 1 et 2 incluent l’évaluation explicite de compétences instrumentales dans les domaines du vocabulaire (« utiliser des mots précis »…), de la grammaire (« repérer le verbe d’une phrase et son sujet »…) et de l’orthographe (« écrire de mémoire des mots mémorisés »…). Celles-ci disparaissent dans les grilles du palier 3 : très proches des connaissances, elles doivent, en fin de scolarité obligatoire, être intégrées dans des compétences complexes.

Sur le papier, ou intellectuellement parlant, une telle progression semble logique et légitime. Elle décrit ce qui se passe lorsque l’apprentissage se déroule sans anicroche et, lorsque les apprentissages ne sont pas perturbés, la rupture que marque cette différence de configuration entre le premier et le second cycle peut même être valorisante. Par ailleurs, pour les élèves qui seraient en danger de ne pas atteindre le palier ou pour ceux qui ne l’auraient pas « atteint », des Programmes Personnalisés de Réussite Éducative doivent être mis en place.

Certes. Mais avec des effectifs de plus en plus lourds et des horaires de plus en plus légers en sixième, lorsqu’il y a  une proportion importante d’élèves en difficultés, et que les difficultés se cumulent, leur prise en charge dans le cadre de la différenciation pédagogique devient théorie pure voire fiction.

Il est juste d’avoir, pour la jeunesse, un projet d’enseignement qui permette à chacun de sortir de l’école avec des connaissances suffisamment intégrées pour offrir aux jeunes citoyen(ne)s une maitrise de la langue garante de leur autonomie et donc de leur liberté et garante également de leur participation aux débats d’une société démocratique. Pour que cette ambition ne soit pas théorique, pour qu’elle ne se traduise pas par un accroissement de ce qu’un candidat à la présidence de la république a nommé autrefois la « fracture sociale », pour que des territoires et leurs établissements scolaires ne deviennent pas des ghettos, pour que des jeunes ne se retrouvent pas « sur le carreau », il est bien sûr nécessaire que chaque enseignant se mobilise, que chaque équipe élabore les cadres favorables aux apprentissages. Il faut aussi que l’institution ait les moyens de cette mise en œuvre pour que chacun conserve et développe le gout d’apprendre et d’enseigner.

Des indications différentes pour l’évaluation selon les cycles.

Dans le premier degré, la rubrique « indications pour l’évaluation » expose un contenu qui correspond à son intitulé : il s’agit véritablement d’orienter ce pan du travail du maitre. Systématiquement, pour chaque item, la grille spécifie le contexte de l’évaluation (« L’évaluation repose sur…), puis les capacités spécifiques sur lesquelles porte l’évaluation (« Elle porte sur la capacité à… »), ce qui doit être observé (« L’observation porte sur… » et indique le ou les critères de réussite (« L’item est évalué positivement lorsque… »).

Ainsi voici ce qui concerne la lecture silencieuse pour le pallier 1 (fin de CE1) :

L’équivalent pour le collège est loin d’être aussi clair. Dans une formule débutant par un impératif injonctif, on peut trouver aussi bien une indication destinée aux enseignants sur les tâches à proposer (« faire choisir le titre d’un texte parmi plusieurs propositions ; ou faire trouver un titre approprié »), une indication sur l’activité de l’élève (« faire partager rapidement le contenu d’un texte, d’une expérience, d’une démarche, d’un protocole… avec ses propres mots et expressions ») ou bien encore une indication liée à la mise en œuvre du programme (« Enrichir le lexique (synonymie, réseaux sémantiques, termes spécifiques et catégories génériques) »).

Quelle place pour le français et la littérature ?

Toute mention spécifique de la littérature comme champ d’évaluation de la langue a disparu de la maitrise de la langue dans le livret personnel de compétences pour le pallier 3, celui du collège, qui préfère mettre l’accent sur la variété des textes. Les Items de la grille de référence sont les mêmes, il en va de même de la colonne qui explicite les items en spécifiant les compétences attendues.

Paradoxalement, l’école élémentaire semble adopter des formulations qui font plus de place à la littérature ou à des compétences littéraires : (« Lire seul des textes du patrimoine ou des œuvres intégrales de la littérature de jeunesse adaptés à son âge » ou « repérer des effets de choix formels (emploi de certains mots, utilisation d’un niveau de langue) »).

On peut penser que pèse sur la rédaction des grilles du collège la contradiction entre la monovalence de la plupart des enseignants et la volonté affichée par les initiateurs du socle de rompre avec le cadre disciplinaire pour la construction et l’évaluation des compétences.

C’est cette même volonté qui pousse les rédacteurs à entrelacer, dans l’explicitation des items comme dans les indications pour l’évaluation, tâches, supports, critères relevant des différentes disciplines (« Faire analyser les éléments signifiants d’une figure :  figure de style, figure géométrique codée, dessin scientifique ou technique… ») ; on peut même en arriver à appliquer à des disciplines non littéraires un exercice de reconstitution de texte (« faire reconstituer à partir des marques temporelles (temps verbaux, adverbes de temps), la chronologie d’un protocole expérimental, d’un compte-rendu scientifique, d’un cahier des charges, d’un récit… »). Un tel accent sur le « français transversal » se trouvait déjà dans les programmes de 2002 pour l’enseignement élémentaire. Le maitre unique de l’enseignement élémentaire, seul organisateur de l’ensemble des apprentissages des élèves, était bien placé pour faire le lien entre les apprentissages linguistiques du programme de français et leur mise en œuvre dans l’ensemble des disciplines. Au collège, qui travaillera sur les temps verbaux et les adverbes de temps d’un protocole expérimental ou d’un cahier des charges ?Comment faire en sorte que se rencontrent les connaissances étudiées dans le cadre du programme de français et leur utilisation dans les autres disciplines, pour permettre aux élèves, particulièrement à ceux qui n’ont pas suffisamment d’acquis personnels, ou d’appui familial , pour être autonomes dans les transferts d’une matière à l’autre?

En fait, il sera tout à fait possible de valider le socle en boycottant le français en tant que discipline exigeante dans le domaine linguistique ou en n’ayant aucune affinité avec elle. En effet elle n’est plus le passage obligé pour la reconnaissance d’une maitrise exigeante de la langue et elle est également distillée dans la « compétence humaniste » (appellation spécifiquement française alors que le principe d’un socle commun et celui de compétences à acquérir en formation initiale et continue sont européennes : voirici et ici).

  Grilles de compétences et progression :

C’est sans doute l’intérêt majeur de ces grilles que de mettre en évidence la progressivité des apprentissages.  Je voudrais illustrer ce propos par la comparaison de ce qui est attendu aux trois paliers pour une capacité qui fait polémique : la capacité à copier. Sa présence dans le socle est parfois jugée « surréaliste ». Les enseignants de collège et de lycée ont souvent tendance à la considérer comme allant de soi, naturelle. L’étude comparative des grilles met au contraire en évidence comment une compétence, qui semble innée lorsqu’elle est totalement intégrée, est en réalité le fruit complexe d’un apprentissage qui peut s’avérer laborieux et périlleux. Copier sans erreur n’est pas une compétence naturelle, quasi innée, simple.

Au cycle 2 (grande section, CP, CE1) se mettent en place la maitrise du geste graphique, l’apprentissage d’un code alphabétique complexe où b ≠d mais =B, où papa équivaut à papa etparfois à Papa. Dans le même temps, pour être capable de copier des mots sans retourner au texte, il faut que l’enfant construise une mémoire lexicale, un stock lexical orthographique ; quant à copier des groupes de mots, cela nécessite des acquisitions syntaxiques et un entrainement de la mémoire de travail.

Au cycle 3 (CE2, CM1, CM2), l’accent est mis sur le texte et sa mise en forme y compris numérique.  Derrière ce niveau de compétence se cache une compréhension fondée par exemple sur des connaissances génériques. Prenons le problème de la copie au tableau du point de vue de l’élève. Lorsque l’enseignant va à la ligne, est-ce un titre, une fin de paragraphe, une fin de vers ou tout simplement que, pour gérer l’espace du tableau, il l’utilise en colonnes ?

Au collège la copie s’oriente vers la composition de documents.

Cet exemple du développement d’une compétence au cours du cursus scolaire de l’élève montre que, même perfectibles, les grilles de référence peuvent enrichir la pratique des enseignants, y compris celle des enseignants de français en décloisonnant leur point de vue, en mettant en lumière la complexité de tous les apprentissages et en éclairant d’un jour nouveau les difficultés rencontrées par les élèves.

 

Relire le précédent article de Dominique Seghetchian sur le sujet : "Où en sommes-nous de l'approche par compétences?", par Dominique Seghetchian

Soumis par   le 19 Février 2011