En Russie, "non la vie ne continue pas malgré les épreuves"


Appel pour que le français ne serve pas la barbarie

Pour comprendre le contexte...

Depuis 30 ans, l'Association des enseignants de français en Russie (AEFR) organise un séminaire en Russie, animé par des formateurs bénévoles, originaires des pays francophones (France, Belgique, Québec, Maghreb), ou francophones d'autres pays (Danemark, Etats-Unis...). C'est un grand moment de partage autour du français (société, littérature, philosophie...) auquel nombre d'entre nous participait avec plaisir pour la qualité des échanges et des rencontres. Les éditions 2021-2022 ont eu lieu en ligne, les déplacements étant devenus difficiles pour cause de COVID.

Peu après le 30ème séminaire (en ligne - fin janvier-début février 2022) ce fut le 24 février, déclaration de guerre de la Russie à l'Ukraine. Nous étions inquiets pour nos collègues russes, sachant combien la population est divisée (et de plus en plus au fil des mois). Et nous avons été fort choqués par les propos négationnistes et de soutien à la politique de guerre qu'a diffusés la présidente de l'AEFER à la fois sur Facebook et par des mels envoyés personnellement à certain·e·s d'entre nous qui avions protesté à ses propos. 

Après avoir reçu ces derniers jours une invitation à participer au prochain séminaire en ligne de fin janvier, nous avons été plusieurs à décider d'être solidaires dans notre refus et protestation. Nous avons rédigé ce courrier, signé par un certain nombre des intervenant·e·s habituels. Notre envoi au bureau de l'AEFR a reçu une réponse immédiate en russe, nous disant que la préparation continue et qu'on se passera de nous.

Nous tenons à faire connaitre notre position publiquement, et nous envoyons cette lettre avec les explications aux collègues russes dont nous avons l'adresse. Car certainse·s d'entre eux aimeraient réagir mais ne le peuvent pas, ont préparé une réponse qu'ils savent ne pouvoir diffuser qu'après la fin de la guerre. 

Notre devoir associatif est aussi de soutenir nos collègues russes qui souffrent de cette situation de guerre qu'ils réprouvent sans pouvoir l'exprimer, et de préparer avec eux l'après. C'est pourquoi l'AFEF (Association française pour l'enseignement du français) s'engage en diffusant cette lettre, et assure à nos collègues russes qui souffrent de notre soutien, et de notre engagement dans les valeurs humanistes.

Merci de diffuser cet appel dans vos réseaux.
Pour l'AFEF, Viviane Youx, présidente

 

La Lettre...                           en PDF

Chère Jeanne,

Tu sais combien nous sommes attachés depuis des années à l’AEFR et à tous les enseignants qui se battent... pour faire VIVRE la langue et la culture françaises, et, au-delà, l’intelligence et la PAIX dans le monde. Tu sais aussi combien nous sommes fidèles au séminaire annuel de l’AEFR, combien nous aimons la Russie et sa culture qui continue à vivre en France au travers de représentations théâtrales, concerts, opéras ; tu sais enfin que si nous avons à cœur de faire vivre le français en Russie et de par le monde, c’est parce que nous croyons à la puissance des mots et savons qu’ils peuvent être détournés et utilisés à des fins contraires. 

 

Mais tant que durera cette guerre russe, qui fait des dizaines de milliers de morts parmi la population civile ukrainienne, il nous sera évidemment impossible de parler à – ou pour – des gens qui soutiennent le projet fou de Poutine. 

 

D’ailleurs, réjouis-toi de notre décision car tu dois bien te douter que si nous devions intervenir, nous ne manquerions pas de parler librement, de dire haut et fort ce que nous pensons de cette tentative d’invasion et de destruction de l’Ukraine. 

Sois en effet certaine que Viviane parlerait du roman « Le Mage du Kremlin », (prix de l’Académie française 2022), que Francis donnerait sa conférence sur « Savoir et pouvoir rire du pouvoir », comme il l’a fait récemment en Ukraine, que Gilles commenterait « Le nationalisme c’est la guerre » de Jean Jaurès, que Jean-Pierre parlerait librement des questions de société et se verrait opposer un silence gêné ou un vif refus...

 

Nous avons échangé en février dernier à propos de cette « opération spéciale », pour toi une « opération humanitaire » ; et ce que tu as alors écrit et fait circuler à propos de cette guerre nous a paru inadmissible, indigne.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il y a eu en France des gens qui ont choisi de collaborer avec le régime de Pétain ; mais d'autres ont choisi de résister et de combattre avec courage l’ignominie. D’autres enfin se sont tenus à une distance prudente. Et toi, Jeanne, non seulement tu ne condamnes pas cette barbarie, mais tu la soutiens. Dans ces conditions, comment peux-tu nous inviter ?

 

Non, « la vie ne continue pas malgré toutes les épreuves ». La vie ne continue pas en pataugeant dans le sang et en faisant comme si de rien n'était. Nous ne participerons pas à ce séminaire 2023, Jeanne, malgré l’amitié qui nous lie à toi, car notre présence reviendrait à cautionner une guerre impérialiste.

 

Par cette déclaration, nous voulons aussi être solidaires des professeurs de français membres de l'AEFR qui souffrent de cette situation, qui ont été choqués par la naïveté de ceux qui acceptent la propagande alors que l'information sur la réalité circule en russe, certains professeurs ont dû s'exiler, d'autres ont déjà été convoqués par leur hiérarchie et menacés, ils sont isolés et... ils ont peur. Nous ne pouvons pas les laisser seuls dans leur désarroi et leur peur, ils ont besoin de sentir que les valeurs humanistes n'ont pas encore disparu de leur environnement immédiat.

Merci de saluer pour nous les enseignants de l’Association et de leur transmettre notre message. 
 

Premiers signataires :

Francis Yaiche - Viviane Youx - Gilles Losseroy  - Astrid Guillaume - Jean-Pierre Lenôtre  Gudmund Bager - Robert Massart - Jacques Lefevbre - David Krasovec - Florence Sorkine Casey Black - Serge Erard - Arnaud Segretain...    

Soumis par   le 21 Novembre 2022