Compte-rendu du colloque : Le Français écrit au siècle du numérique : enseignement et apprentissage.


8-9 octobre 2015 – École Polytechnique

 

Comptes rendus des conférences

 



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Conférence d’ouverture

Le numérique, une lexicographie troublée.
Paul MATHIAS, IGEN Doyen du groupe Philosophie. Présenté par Jean ERSAHM, IGEN Lettres.

Quelques publications de Paul MATHIAS : Éthique et solidarité humaine à l'âge des réseaux, Coll. Éthique en contextes, L'Harmattan, 2006. Des libertés numériques. Notre liberté est-elle menacée par l'Internet ? Coll. Intervention philosophique, Presses Universitaires de France, 2008. Qu’est-ce que l’Internet ? Coll. Chemins philosophiques, Ed. Vrin, 2009.

 

La question que souhaite traiter Paul MATHIAS est celle des langages et des relations qu’ils entretiennent avec les langues.

Selon un article du Monde diplomatique, nos modes de pensée et d’interprétation du numérique sont fixés selon un schéma simpliste entre l’extase devant des pratiques innovantes et l’effroi éprouvé devant l’essor incontrôlé des espaces numériques qui serait assorti d’un délitement des structures fondamentales de la langue et de notre culture.

Or la réalité, bien plus complexe, ne se réduit pas à un schéma binaire. Nous « éprouvons » une saturation d’information : notre réalité est percluse par le numérique qui la structure désormais. Nos pratiques n’impliquent pas seulement une utilisation mais une appropriation des outils informatiques : les pratiques informatico-numériques sont intellectuelles.

Nous craignons que ces types d’écriture ne se substituent aux précédentes et n’entrainent le délitement et une étrangeté accrue à la langue. Si un problème de l’écriture de la langue existe, il concerne la relation entre le lexique informatique et la langue naturelle avec son lexique propre. Les énoncés de la langue naturelle sont traductibles en algorithmes : ce n’est plus le problème de la langue technique, de l’encodage (la plasticité des syntaxes informatiques peut s’ajuster à la langue), mais de la scripturalité elle-même, de l’écriture comme un support singulier. Si l’on suit Platon (Phèdre), l’écriture constituant le support de la pensée, il faut que l’écrit se réapproprie la vitalité de la pensée, il faut écrire pour avoir de nouvelles occasions de penser ; l’écriture est un processus qui réalise une vie de la pensée, un processus qui manifeste une inflexion, une dynamique de la pensée, de son essor, de son déploiement. Le problème de l’écriture numérique n’a rien à avoir avec la tragédie réelle ou fantasmée de l’acculturation contemporaine qui nourrit la désolation. Le numérique est la vie contemporaine de la parole, de la pensée. La langue existe différemment à l’âge numérique, avec de nouvelles opportunités d’écriture et de déploiement ; une langue ce n’est une grammaire, mais une multiplicité de paroles et de pensées insérées dans l’histoire de la vie intellectuelle. Toute la difficulté est d’identifier le rôle assigné au numérique comme mode authentique d’existence d’une pensée, d’une culture qu’incarne la langue, rôle qu’il faut reconnaitre aux processus numériques multiples. Les machines participent à la vie de la langue, mais de quelle manière, maintenant que nous pensons avec et dans les machines ? La question est de savoir si le code informatique occupe le rôle que pouvaient avoir certaines formes d’écriture classique. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire que les calligrammes d’Apollinaire sont d’une part des dessins, d’autre part des poèmes ; la mixtion des mots et de l’image forme un tout. Est-ce que le code informatique n’a pas sur la langue et nos pratiques intellectuelles la même portée que la figuration calligrammatique ? Une intime corrélation se tisse entre le code et la langue.

À partir de cette réflexion, Paul MATHIAS émet un postulat : le code porte informatiquement le sens des pensées dans un univers devenu numérique. Pour argumenter en faveur de cette position intellectuelle, il pose que la langue naturelle n’entretient pas avec le langage informatique le même rapport qu’elle entretient avec ses spécialisations techniques, ses langues spécialisées. En tant qu’intellectuels, nous faisons usage de langues très techniques. Le code n’est pas une de ces langues spécialisées. Les langues naturelles et spécialisées ont une même fonction de dénotation et de désignation ; ce que fait le code est différent, il ne désigne pas, il produit des fonctions, il produit des effets machiniques, les langues informatiques ont des effets techniques. Si les langues naturelles sont signifiantes, les langues informatiques sont opérantes. Peut-on dire de ce qui opère que c’est de même nature que ce qui signifie ? Le code informatique est-il une langue ? Simple distinction de nature ou certain type d’entrelacs ? La distinction entre code et langue appelle trois séries de remarques :

·      Il est clair que les sciences informatiques ont permis l’élaboration de différents langages, systèmes de codages qui permettent aux machines de produire des fonctions déterminées ; le code satisfait un vieux fantasme aristotélicien de navette qui articule et fait se mouvoir sans l’intervention d’un esclave ou d’une intervention.

·      Le code informatique est réductible à sa syntaxe et ses contraintes propres ; ou il est bien formé et est compréhensible par les machines, ou il est inopérant ; il n’existe aucun espace intermédiaire ; coder à demi-mot n’a aucun sens ; une machine ne peut pas recomposer comme on recompose quand on a mal compris ; il ne permet pas de logique floue, pas d’équivoque.

·      Cette réductibilité du code à sa syntaxe n’a pas pour conséquence un déclassement, le fait que le code ne soit que du code, contraignant et dénué de toute équivocité, n’a pas pour conséquence qu’il soit dans les machines alors que d’un autre côté il y aurait le monde de nos pratiques. La syntaxe informatique n’est pas seulement opératoire dans les machines, elle s’étend au-delà des machines aux pratiques intellectuelles qui sont les nôtres. La relation des codes informatiques à l’univers de la pensée et des langues naturelles n’est pas une relation de juxtaposition mais une relation de production, d’inspiration pour la façon dont nous pensons et écrivons. La puissance opératoire des algorithmes excède la puissance des machines qu’elle permet de gouverner, dans les machines nous pensons en crayon mais aussi en machine, à l’encre mais aussi en code, nous pensons dans les mots, mais les mots ne sont pas désormais ceux de nos langues naturelles, ils sont aussi ceux de nos machines, ceux des codes qui les rendent opératoires. Nous pensons d’une autre façon l’énoncé générique des mots avec les machines : l’expression de la pensée est analogique, la pensée prend corps dans un mot ; dans le monde numérique, cette traduction est numérique, elle est médiatisée par les codes que nous mobilisons pour manifester les pensées qui sont les nôtres. Les mots eux-mêmes sont médiatisés par les fonctions algorithmiques qui rendent possible l’apparaitre des mots et des pensées. Il ne s’agit ni de trahison ni de correction, mais d’une expérience numérique de la parole et de la pensée ; nous pensons dans des mots médiatisés, nous mobilisons des langages souterrains, des médiations à la fois techniques et intellectuelles. L’écrit c’était de l’encre et du papier, avec le numérique, l’écrit c’est de l’écrit sur l’écrit. Si dans le monde des choses la pensée transite par des choses qui ne sont pas elle (stylet, papier, encre…), dans le monde numérique la pensée transite par des énoncés qui sont déjà eux-mêmes de la pensée, des pensées codales fonctionnent de manière sous-jacente. Le code est cette écriture qui actualise nos pensées naturelles, il réalise nos pratiques intellectuelles ; l’écriture était un mode de représentation analogique, elle devient un mode de surinterprétation syntaxique. Il y a de l’écrit opératoire qui prend le relai de nos écritures et de nos pensées.

La question de la médiatisation est la question fondamentalement intéressante. Nous pensons, et notre pensée est relayée par les machines, et c’est là où s’ouvre l’espace infini du monde numérique. En inventant des langages informatiques, les informaticiens inventent des moyens de relayer les pensées que nous avons ; par exemple, il y a une pensée PowerPoint. Écrit-on le texte d’une communication de la même façon avec du papier qu’avec une machine ? L’usage des machines induit une inflexion dans l’ordre de la pensée. Notre cerveau ne change pas mais nos pratiques intellectuelles, nos pratiques de recherche changent. Par exemple, Jean-Pierre BALPE écrit un « livre singulier » pour un lecteur singulier : sur écran, la machine compose la pensée. Quand on confronte lexique/syntaxe informatique/naturel-le, cela n’a pas de sens, le monde de la pensée est hybride, c’est un monde étendu à la contribution, aux relais multiples que constituent les machines informatiques. Nos machines ne pensent pas à notre place, mais sont un peu de nous-mêmes.

Perdre l’écriture manuelle, c’est perdre une dimension d’humanité, c’est perdre une matérialité qui donne vie au mot. Substituer l’écriture numérique à l’écriture manuelle est une folie.

 

Conférence 2

Apprendre à écrire dans toutes les dimensions : vers une synergie des écritures.
Renaud FERREIRA de OLIVEIRA, IGEN Lettres, Groupe Enseignements et éducation artistiques. (Enseignement du cinéma et de l’Éducation aux Médias et à l’Information)

Les nouveaux outils recontextualisent le rapport à l’école, et notamment à l’autorité. Une École longtemps pensée comme un sanctuaire, un lieu symbolique, est confrontée à des évolutions et doit s’ouvrir. Le MEN donne des impulsions fortes : le plan numérique et la réforme des collèges ont pour enjeu, dans le domaine informatique, une généralisation des collèges connectés en 4 ans. Un Rapport publié en 2014 sur l’apprentissage du code à l’école a suscité la mise en place d’un nouvel enseignement d’exploration en seconde : « informatique et création numérique ». Cette ambition est qualitative ; loin de tomber dans l’illusion technique, qui consiste parfois en un habillage de régressions, nous devons nous positionner en termes de sens, de valeurs. Le numérique, pour quoi faire ? Comment penser la révolution en cours comme un humanisme et non comme une économie de la connaissance ? Le champ essentiel est celui de l’écriture, avec l’émergence d’une nouvelle raison, pour reprendre l’expression « raison graphique » de GOODY. Cette nouvelle « raison computationnelle » intègre, englobe, reconfigure la précédente, et elle fixe de manière urgente de multiples enjeux pédagogiques : penser conjointement l’entrée dans l’écriture avec celle de l’entrée dans l’image, le son.
 

Penser une entrée humaniste dans l’écrit numérique dans l’école implique :

1.    Un rapport à l’objet numérique saisi dans un cadre institutionnel : il faut sortir du flux, de la communication, et gérer la séparation avec les usages privés.

2.    Une exigence de probité intellectuelle : des savoirs construits doivent être élaborés.

3.    Une capacité à construire du symbolique, sinon l’image risque de devenir l’abolition du symbole, et provoquer une sidération.

4.    De ne pas oublier les fondamentaux anthropologiques d’une entrée structurante dans l’écrit.
 

Le fait de découvrir que les contraintes de la langue sont consubstantielles de la pensée impose de former les élèves dans toutes les dimensions de l’écrit.  Les Lettres, les Humanités ont toujours présenté un lien intrinsèque de réflexion entre l’analyse des supports et la manière de s’y engager. Les Lettres retrouvent ce rôle de boussole épistémologique et morale qu’elles ont eu pendant longtemps. Notre discipline connait un effort de clarification épistémologique pour se mettre en phase avec les enjeux de l’époque. Comme discipline fondatrice, elle doit travailler sur les interrelations. Et cette exigence de clarification n’a pas été oubliée dans l’esprit qui anime les programmes de collège (cycle 4).

Trois pistes se dessinent dans les textes de programmes du cycle 4 :

·      Inscrire l’écriture numérique dans l’histoire longue de l’écriture et de ses supports : la litéracie se pense pour un groupe social donné. Une pratique réfléchie et distanciée suppose d’analyser le public, de penser la réception avec une analyse construite du public. Il faut sortir de la diabolisation des médias, un enjeu fort consiste à démonter toutes les interactions possibles entre médias et public en sortant de l’idée d’un public passif. On doit analyser comment le message se construit dans le paramétrage d’une cible et comment le public s’approprie le message.

·      Enseigner les connaissances métascripturales propres au numérique implique de réfléchir à la nouvelle place que peut y prendre l’écriture verbale (et audiovisuelle) et la production. Cet enseignement repose sur une pédagogie active, avec un jeu d’aller-retour entre travail pratique et distanciation pour encourager la production des élèves et accompagner des pratiques « sauvages » ; les jeunes ne savent pas vraiment ce que suppose cette écriture, ce que sont les compétences éditoriales. Il faut sortir des discours et méthodes datés. Il ne s’agit pas seulement de citoyenneté mais de créativité. Trois dimensions de l’écriture (écriture multimédia, écriture interactive, écriture collaborative) créent une nouvelle configuration grammaticale. BOUCHARDON a théorisé de nouvelles règles grammaticales qui prennent en compte la dimension visuelle de l’écriture ; le numérique reconnait et prend en compte la dimension du geste « schème en devenir ». On peut ajouter deux caractéristiques : une interdépendance dans le langage multimodal (joindre ou disjoindre les modes) ; les effets de sens dans l’écriture multimodale sont étroitement liés à des questions de format, les ilots de sens sont reconfigurés en permanence. Il s’agit pour les élèves de devenir non seulement alphabétisés, mais lettrés du numérique.

·      Inventer des scénarios didactiques spécifiques en repensant les gestes professionnels et les scénarios didactiques. On peut caractériser chaque système en fonction des usages et supports à l’aide d’une typologie qui prenne en compte les transpositions, les adaptations, le transfert technologique, un nouveau mode de relation entre brouillon et texte final (par exemple en utilisant le traitement de texte comme brouillon et non l’inverse). De nouvelles écritures apparaissent : hybrides, combinées, enchainées qui demandent de réfléchir à leur mise en scène et en rapport, comment relier et lier. Le geste créateur doit être pris en compte pour susciter la production de textes multimodaux de type artistique.

 

 

Intervention plénière

Loïck DEPECKER, Délégué Général à la Langue française et aux langues de France, tient d’abord à assurer les organisateurs et participants du soutien de la Ministre de la Culture, d’autant plus qu’auparavant elle était en charge spécifiquement du numérique.

La DGLF invite à tout faire pour que le français soit considéré comme une langue moderne, et soit une langue moderne. Le plurilinguisme est partout, le métro use de différentes langues dans la signalétique. L’espace public doit être en français ; Loïc DEPECKER prend l’exemple de la campagne Évian en anglais, retournée et détournée par un tweet largement répandu : « 40° à l’ombre, Évian nous donne soif de parler français ». Une action territoriale va être menée pour l’apprentissage du français. Les langues de France constituent un combat serré du Président de la République, avec la préparation d’une loi portée par la Ministre de la Justice pour faire mieux reconnaitre les langues de France.

Loïc DEPECKER mène une mission confiée par le Premier Ministre : préfigurer une agence de la langue française ; l’idée est qu’il faut faciliter sur tout le territoire l’accès à l’apprentissage de la langue française. La réflexion du Gouvernement s’est renforcée après les attentats de janvier 2015 qui l’ont poussé à faire du français une priorité. Si les personnes ne parlent pas le français, elles vont avoir tendance à se replier et s’isoler ; même si cette idée n’est pas valide scientifiquement, nous devons faire face à l’urgence pour que tous puissent avoir accès au français.

 

 

Conférence 3

Le nouveau visage de la pluralité langagière : repères et questionnement à l’heure du numérique.
Corinne WEBER, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3

La spécialité de Corinne WEBER est la didactique de l’oralité contextualisée, pour « enseigner le français comme il est parlé ». Mais, dans cette conférence, elle va interroger la pluralité langagière à l’heure du numérique.
Les nouvelles formes numériques réduisent les frontières oral-écrit, puisqu’on se parle par écrit. L’aventure numérique collective s’inscrit dans l’historicité des groupes humains, et franchit un pas avec une traversée fonctionnelle d’un écrit à l’autre et d’un support à l’autre.

1 -  Repères historiques : de l’ère post-alphabétique à la culture du livre

L’écriture est la base de notre civilisation, mais sous des modes différents. À l’époque des scribes, l’oralisation était la norme ; après le Moyen-Âge, l’écrit n’est plus l’apanage du clergé. L’enseignement de la grammaire change l’impact de l’écrit sur l’organisation sociale, dans une configuration disciplinaire du français qui se constitue seulement à la fin du 19ème. De la mémorisation dominante à la conquête de l’écrit, la pédagogie émerge comme pensée/action. Les moyens de communication ont transformé nos modes de connaissance et nos représentations, nos manières de nous ouvrir au monde.
 

2 - L’écrit et le numérique : de nouveaux comportement sociaux

La révolution digitale et l’offre textuelle exponentielle ont fait apparaitre de nouveaux comportements : pour chercher des ressources, il faut naviguer, sélectionner, comparer, circonscrire ; mais aussi zapper, filtrer, préserver… Plusieurs logiques d’action sont à l’œuvre : utilitaire, d’autonomie, d’intégration sociale.

Les modes de production et de lecture sont multiples, ils induisent des textualités numériques (PAVEAU), ils ne sont pas de simples supports mais des environnements qui configurent les écritures, des environnements polylectes (la linéarité langagière est rompue par l’usage d’outils). La démocratisation du numérique n’est pas technologique mais pédagogique. Une nouvelle sociabilité se crée, influencée par l’écrit numérique ; l’exemple de Facebook montre un modèle de la conversation qui repose sur le quotidien ; le jeu de proximité et de distance se transforme. Le SMS instaure un lien distancié moins engageant que l’échange oral direct. Sur Facebook les pratiques sont reconfigurées, les rapports sociaux sont transformés et entrent en relation avec les relations orales directes. Le maitre-mot est : être connecté. On assiste même à une reconfiguration des formules de politesse (cordialement qui remplace des formules plus normées).
 

3 - Les nouveaux visages de la pluralité langagière

Les écritures électroniques sont hétérogènes, en voici quelques exemples :  adjectifs adverbiaux – locutions transformées et approximatives – constructions stigmatisées – lexique familier de grande fréquence – les syllabes s’enchainent, en calquant des mots écrits sur les discours parlés – l’écriture numérique spontanée restitue la prononciation, supprimant la segmentation en mots – rythme et prosodie  marqués par majuscules, gras, redoublement de lettres et syllabes, signes de ponctuation multipliés – astuces graphiques et hyperexpressivité.

Le rapport affectif et ludique domine, avec une grande volonté d’extraversion et une décrispation par rapport à la langue écrite ; on écrit comme ça vient ; on ne crée pas de nouveaux mots mais l’innovation est dans la manière de les écrire (ANIS). Il ne s’agit pas d’une transformation de la syntaxe mais d’une adaptation de l’écriture. Des langues coexistent.

S’interrogeant sur la relation entre l’écrit numérique et l’écrit scolaire, une recherche auprès d’élèves en insécurité linguistique explore leur perception du système normatif. Facebook est un usage quotidien, d’abord pour voir ce que font les autres. Si les jeunes ne maitrisent pas l’orthographe, leur écriture sur Facebook est la reprise de l’oral, et non une réduction d’une orthographe non maitrisée. Les étudiants ne confondent pas le langage Facebook avec le langage universitaire. L’écriture électronique diversifie les tâches en utilisant différents supports, mais l’appropriation sociale implique des usages et des normes.

La norme a des usages variés ; il ne s’agit pas d’enseigner à transgresser les normes, mais d’apprendre à contrôler ses écrits, de faire des normes un objet d’apprentissage. Enseigner la norme comme un système permet l’adoption d’une posture plurinormaliste, avec un contrôle de la variation et des espaces variables. Un continuum s’établit : contexte-discours-écrit-parlé.

 

4 - Questionnement et perspectives

Internet ne va pas tuer l’école, c’est un facteur de motivation, un outil qui permet des usages variés, un point de contact oral-écrit.

L’écrit numérique nous interpelle : sur quel objet voulons-nous nous interroger ? L’écrit numérique amène le didacticien à s’interroger sur les environnements en place ; une nouvelle théorisation est en train de s’ouvrir : enseignant observateur-chercheur.

Une suspicion latente plane sur l’efficacité et l’utilité du numérique à l’école ; en situation d’insécurité ces formes peuvent être déroutantes et développent une conscience normative. Le linguiste doit dépasser une conception logocentrée (PAVEAU), il n’est plus possible de s’en tenir à un modèle de référence, mais il faut apprendre aux enfants à se mouvoir et à co-agir dans ces différents univers. Plutôt que de se laisser piéger par un univers technologique, il est nécessaire de penser et enseigner de nouvelles postures d’appropriation et de co-construction.

 

Conférence de clôture

Modèles didactiques innovants en recherche sur l’écriture, à l’ère du numérique : l’exemple du groupe OZER (Observatoire Zolien des Écritures Réflexives).
Olivier LUMBROSO, Sorbonne Nouvelle Paris 3 - Françoise GOMEZ, IPR Rectorat de Paris - Jean-Sébastien MACKE, ITEM-CNRS groupe OZER.
Site ArchiZ

Olivier LUMBROSO présente le groupe de recherche mixte du projet ArchiZ, coordonné par Alain PAGÈS, qui répond à un double objectif : construire le premier portail des archives zoliennes et ouvrir espace pédagogique autour d’objectifs de lecture et d’écriture liés à Zola et au Naturalisme. Cette recherche-action travaille sur l’enseignement de l’écriture à l’époque d’une mutation des humanités numériques.

Il part du dispositif zolien de l’écriture : ZOLA utilise une ébauche, un ensemble de documents, de schémas et il produit un type d’écriture qualifié de : « écriture à programmation scénarique » (par opposition à une écriture à structuration rédactionnelle, sans phase préparatoire, sans plan, toujours textualisant). L’école a tendance à séparer les deux types d’écriture. Pourquoi ne pas combiner les deux et reconfigurer l’apprentissage en combinant les deux formes ?

Le groupe de recherche propose une didactique du prérédactionnel : apprendre à écrire c’est apprendre à désécrire, à ne pas écrire linéairement ; cela permet au scripteur de libérer sa créativité ; il utilise un dessin, un croquis pour accompagner la conduite du récit ; puis il effectue un va-et-vient entre croquis et écriture. C’est aussi intéressant en lecture, le dessin de lecture trace un espace textuel du lecteur en action. Cette démarche permet de travailler métalangage et autoconsignes ; mais aussi d’articuler intention artistique et écriture créative. Elle consiste à préécrire pour écrire (au contraire de la révision qui viendrait après), et insiste sur l’importance de la réflexivité.

 

À lire sur le site de l’École des Lettres : Une nouvelle didactique de l’écriture imaginée par le groupe OZER, par Françoise GOMEZ et Olivier LUMBROSO, 16 janvier 2015, suivi de L’écriture au miroir d’elle-même par Françoise GOMEZ.

Lire aussi deux exemples :

• 6èmeDans le cahier de Margaux. Quand le cahier d’élève devient un cahier d’auteur,par Yaël BOUBLIL, 7 octobre 2015

• 2ndeUn atelier d’écriture poétique à partir de la photographie en classe de seconde, par Marjolaine HUBERT, 8 octobre 2015

 

Ateliers

Résumé succinct de quelques ateliers

 CR des ateliers en document Word téléchargeable


Nouvelles approches de l'écrit

 

Monique LEBRUN a présenté un travail mené en collaboration ave Nathalie LACELLE : « la nébuleuse narrative numérique chez les adolescents scripteurs comme un bouleversement des genres » (site www. litmedmod.ca - litmedmod pour littérature médiatique multimodale). Celle-ci renvoie à une écriture informelle et non évaluée, inscrite dans un processus en perpétuel changement, dominée par le narratif mais intégrant vidéo etc.

La « fanfiction » est un de ces nouveaux genres. Il s’agit d’histoires écrites par des fans d'un roman ou de séries TV qui prolongent l'œuvre, la modifient, la croisent avec d'autres œuvres Le rapport à l’œuvre source joue le rôle de contrainte créative. Son écriture se caractérise par : l’intertextualité (le texte est ouvert sur d'autres textes s’enracine dans les œuvres sources) – l’auto réflexivité – le mélange spatiotemporel des éléments – l’interpellation des lecteurs à la fin du texte et le dialogue de l’auteur avec ses lecteurs – l‘expression des métasavoirs de l'auteur – l’expansion récursive, le récit se réécrivant en fonction des commentaires.

La narration, qui fait une large place au pastiche, est transmédia : le déplacement du lecteur d'un média permet de lire une même histoire à partir de différents discours. Il s’agit d’une narration médiatiquement distribuée, entre des plateformes, entre auteur/lecteurs, entre histoire/commentaires etc.

 

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Écriture collaborative

1.      Monique JURADO, IA-IPR honoraire, a rappelé que l’écriture est un acte complexe dont une partie des savoirs est implicite : enseigner le résultat, le texte ne suffit pas. Il y a mise en jeu de savoirs cognitivo-langagiers complexes et de savoirs pragmatiques. Cela explique la place des dispositifs d’écriture dans l’apprentissage.
L’analyse de différents dispositifs d’écriture menés en collège et en lycée et engageant des interactions, met en évidence que les élèves y prennent plus facilement conscience des problèmes de cohérence temporelle et énonciative à régler. Les opérations d’ajustement (ajouts, suppressions, reformulation) sont favorisées ainsi que les apports culturels. On observe des tissages, un phénomène dialogique, l’écriture apparait comme un acte d'intertextualité permanente, la parole est simultanément singulière et collective. Cela remet en question l'idée que la recherche d’idées et les apprentissages grammaticaux doivent être préalables à l’écriture ainsi que le mythe de l'écriture solitaire.

Le numérique est certes favorisant mais l'écriture collaborative est d'abord une posture orientée sur le processus dynamique. L'enseignant, dans une posture d’accompagnement en retrait, doit créer un environnement social bannissant la compétition et dans lequel les élèves sont considérés comme des auteurs autonomes.

2.    Catherine DAVID et Christelle BERGER, analysant leur propre expérience au CUEF de l’Université Stendhal de Grenoble, ont noté que l’essentiel des propositions d’amélioration viennent de celui qui n’écrit pas, elles mettent en évidence l’intérêt du regard distancié de l’autre et le rôle de référent de l’enseignant (dans ce cas en tant que locuteur natif).

3.    Plusieurs expériences rapportées concernaient l’enseignement du FLE. Selon Marie Manuelle DA SILVA (université Bretagne Sud, pour un projet mené en collaboration avec l’université de Minho –Portugal) l'avenir de l'enseignement du français à l’étranger et à l’université réside dans sa capacité à se renouveler dans un contexte où la formation est un marché et où l'avenir d'un enseignement dépend de l'employabilité des étudiants. Elle fait état, d’une part d’une porosité avec des savoirs acquis dans d'autres cours, de réinvestissements de savoirs, d’une forme d'interdisciplinarité, d’autre part d’un déplacement vers une écriture multimodale, enfin d’une porosité à l'influence des industries culturelles, d’une hybridation des univers culturels.

 

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Amélioration, remédiation et motivation. Traitement de texte et écriture.

La recherche de Pascal Grégoire s’est donné pour but de mesurer « l’impact du traitement de texte sur la qualité de l’écriture, la motivation à écrire et la révision ». La diversification des pratiques d’écriture informatisée, le rapport intime au téléphone cellulaire, le remplacement de genres traditionnels par des genres émergents amènent à s’interroger sur les pratiques d’écriture scolaire et l’utilisation de l’ordinateur dans les opérations de révision (cf.processus rédactionnel de Hayes et Flowers). L’étude a permis de constater : une amélioration de l’orthographe d’usage grâce aux correcteurs intégrés, le même nombre d’erreurs en orthographe grammaticale, une progression non significative en cohérence de texte. Si les élèves gagnent en motivation à écrire avec le traitement de texte, le mode et la qualité de révision sont aussi tributaires de la compétence technologique. Les résultats de l’étude recommandent l’acquisition du doigté durant le parcours scolaire et une acculturation technologique pour que les élèves s’approprient les outils.

 

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Modèles et dispositifs innovants. Un exemple de dispositif.

Un dispositif a largement retenu l’attention de la salle : « le blablatexte », présenté par Marie-Emmanuelle PEREIRA. Au service de la formation des rédacteurs professionnels, il met en place une situation artificielle qui a le mérite de condenser toute une série de compétences (collaboratives, métalangagières) et contribue à enrichir la représentation que les étudiants ont du texte. Ce dispositif en plusieurs phases – qui fait alterner temps de lecture orale / temps d’écriture de ce qui a été décrit, écrits individuels/productions de groupe – amène les étudiants à voir le texte comme un objet pluridimensionnel ; leurs écrits réflexifs leur font comprendre le travail d’épaississement du texte. Les étudiants sont invités à se frotter, à expérimenter, créant une une parole collective et des interactions langagières.

 

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Des genres textuels à acquérir : l'écrit de spécialité en école d'ingénieurs

Selon Catherine CARRAS et Océane GEWIRTZ, ces genres textuels présentent des spécificités en termes de compétences linguistiques et communicationnelles sans qu’on s’interroge sur leur acquisition et sur les dispositifs pour les mettre en œuvre.
En Europe, les écrits attendus, dans un « style concis et clair ni littéraire ni télégraphique », servent à évaluer l'acquisition d’une démarche à travers des régularités formelles : l’introduction rappelle la théorie, pose la problématique ; puis il faut présenter le protocole, les mesures et leurs résultats ; enfin ceux-ci doivent être soumis à une analyse critique et interprétés. La présence de schémas, tableaux et de figures est requise et l’attention à la correction linguistique est forte. Les difficultés sont linguistiques et liées au genre.
La comparaison du même cours, dispensé par le même enseignant en France et en Chine, où celui-ci a dû s’adapter aux attendus universitaires du pays, met en évidence l’importance du rapport culturel aux savoirs : questionner les résultats et le savoir par opposition à reproduire un résultat. En Chine, on attend beaucoup moins de rédaction, le compte-rendu se présente sous forme de textes à trous où les étudiants doivent simplement introduire leurs résultats.

 

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Didactique de l’écrit

L’écriture comme processus : deux interventions

1.    Pour « faire évoluer les écrits d’élèves de 1MTG en décrochage scolaire », Marie-Laure ELAOUF montre comment Hela FEKI (qui participait à une recherche-action de Sylviane AHR sur la question du sujet lecteur, les théories de la réception et la didactique de la littérature) a fait des choix didactiques : partir de textes littéraires en rapport avec les questions existentielles qui taraudent les adolescents ; et les travailler sur un mode de questionnement qui les invite à s’engager subjectivement (ex. un portrait chinois sur la scène d’exposition de Ubu Roi). Elle s’est très trouvée vite face aux limites des dispositifs didactiques de la classe ordinaire : l’aspect graphique a fait obstacle, la projection sous forme de dessin n’était pas possible pour ces adolescents. Elle a donc cherché une autre sorte de dispositif, moins violent, un blog participatif. L’idée a été de transposer le geste professionnel de synthèse et questionnement du professeur vers l’écriture des élèves grâce à Etherpad qui permet simultanément le tchat et l’écriture collaborative. Le choix du logiciel s’est avéré intéressant en ce qu’il prend en compte le rapport de ces élèves à l’école et aux savoirs, au groupe de pairs et à l’enseignant, et au temps. L’association tchat-écriture installe un « espace sécurisant », la place du tchat se réduit au fil des séances au profit du texte en écriture. Les élèves ont amélioré leur rapport à l’écrit avec une meilleure confiance en leur valeur, une réflexivité et une prise de conscience du processus d’écriture ; le pad ne change pas l’écriture et le style, ce qui change c’est de voir ce que les autres écrivent. Le professeur est dans le lâcher-prise, il intervient pour relancer, reformuler, et ajuste ses gestes d’étayage en amont, en cours d’écriture et en aval.

2.    Dans son intervention sur les« brouillons de dissertation à l’université, Caroline SCHEEPERS s’intéresse au passage d’une centration sur le produit fini à une centration sur l’écriture en cours dans laquelle le brouillon constitue un « artéfact précieux ». Quelle corrélation entre les brouillons et le produit fini, la note obtenue ? L’étude utilise les catégories du brouillon épistémique dégagées par ALCORTA : linéaire (écrit tourné vers autrui - degré plus faible de maitrise de l’écrit) vs instrumental (écrit tourné vers soi - retour réflexif sur l’activité scripturale), montrant une hybridation entre les différentes formes de brouillon et leur utilisation. Elle n’établit pas de corrélation entre le mode de brouillonnement et le résultat obtenu, mais ceux qui réussissent le mieux sont ceux qui sont capables d’analyser leur brouillon. Les élèves en danger sont ceux qui ont un rapport magique à l’écriture.
La didactique du brouillon consiste en une explicitation, qui permet de voir l’écriture comme un « épaississement progressif », de focaliser sur le sujet scripteur, en refusant une prescription étapiste simpliste, consensuelle et rassurante.

 

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La question de l’orthographe

Deux études de l’école à l’université, d’une relation aidante à la révision

1.    La manière dont un maitre dicte un texte à l’oral pour l’exercice de dictée, sa mise en en discours d’un texte écrit qui implique une relation particulière de l’oral à l’écrit. Différents types de lecture, plus ou moins aidante, avec plus ou moins d’interactions, fait apparaitre des représentations de l’enseignement. Cette étude de Jeanne CONSEIL et Clara MORTAMET : « Les indices d’orthographe dans la dictée du maitre » s’interroge notamment, dans les perspectives qu’elle ouvre, sur les résultats sur les pratiques des élèves.

2.    La révision orthographique chez les étudiants : « L’étude des procédés de révision orthographique d’étudiants entrant à l’université », menée par Jacques DAVID et Trang LUONG, met en évidence la défaillance du processus de révision ; alors que deux grands profils chez les étudiants débutants (erreurs de connaissance / erreurs de gestion) sont importants à distinguer, l’étude met en évidence le paramètre important du temps de la réécriture ; et montre que l’ampleur de la révision dépend de l’expertise, plus les étudiants sont experts, plus la révision prend de l’ampleur.

3.    En contrepoint, la ponctuation. Marie-Odile HIDDEN, Henri PORTINE s’interrogent sur ce que reflète la ponctuation et la distinction, en la matière, entre norme et usage (l’un et l’autre très différents selon les langues).
L’hypothèse d’un lien avec l'oralisation et la respiration est aujourd’hui abandonnée au profit de l’association d’une norme comme système (norme de l'écrit) à associer à une structure cognitive : la mise en texte de molécules de pensée, d’idées minimales. On peut dès lors reconstituer une sorte d’identité syntaxique et non cognitive qui vise autant l'action par le langage que la compréhension

 

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Didactique et formation

1.    Caroline SCHEEPERS, avec « le triangle didactique dans les préparations des stagiaires », fait remarquer que peu de travaux portent sur les préparations de cours, cette question n’est pas vraiment approfondie. Elle dégage dans les préparations des stagiaires plusieurs postures d’enseignants : l’improvisateur (sans préparation) ; le magicien (n’envisage pas la question du comment) ; le narrateur (use et abuse du style indirect, élèves et savoir restent fantomatiques, l’enseignant est omniscient) ; le dialoguiste (use du style direct, sa préparation est fonctionnelle, élève et savoir sont très présents). En s’appuyant sur le triangle didactique de Jean HOUSSAYE, elle voit la préparation comme un objet sémiotique complexe à l’interface entre le pôle élèves et le pôle maitre. L’observation du pôle élèves montre peu de recul didactique et de centration sur la tâche et les savoirs, celle du pôle maitre fait apparaitre une absence de description et un flou entre observation et synthèse. La formation à la didactique de la planification s’appuie sur des ateliers interdisciplinaires où la préparation est travaillée, les séances de préparation individuelles faisant l’objet d’un accompagnement multiple.

2.    Thierry GEOFFRE et Véronique MARMY-CUSIN, ont mis en évidence une insécurité des étudiants face aux « exercices de grammaire dans des séquences didactiques ». Du fait d’une méconnaissance des catégories grammaticales qui pose problème pour anticiper les difficultés des élèves et construire une progression, ils s’appuient, pour choisir des exercices, sur des critères liés à leur propre expérience : quantité de lecture et d’écriture, graphisme, mise en page, convivialité. Il leur est difficile de percevoir à quel moment de la séquence un exercice peut être utilisé, et d’appuyer leur choix sur des critères linguistiques. La recherche fait apparaitre la nécessité de lier dans la formation des enseignants, une formation linguistique et une formation à la didactique de la grammaire car le choix d'opérations linguistiques est aussi un choix d'opérations mentales.

Soumis par   le 26 Octobre 2015