« Actualités » concernant l’apprentissage de la lecture… et de l’écriture


Par Joëlle Thébault

« Actualités » concernant l’apprentissage de la lecture… et de l’écriture

 

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Le verdict rendu par l’évaluation PIRLS[1] ne devrait surprendre personne

Toutes les évaluations internationales auxquelles il a été procédé depuis quinze ans réitèrent le même constat : les élèves français réussissent moins bien que la moyenne des élèves européens. On a pu un temps caresser l’illusion que les critères utilisés, largement influencés par la culture anglo-saxonne, pouvaient en être la cause… Mais les études françaises pointent les mêmes faiblesses, et surtout accusent elles aussi une aggravation continuelle des écarts entre élèves.

La note d’information de la DEPP montre des variations selon les items : les élèves français ne rencontrent pas de problème particulier en ce qui concerne les compétences[2] « Relever  et Inférer » (quand il s’agit de mettre en relation des informations simples). C’est quand il s’agit des items « Interpréter et Apprécier » qu’ils ont des performances significativement inférieures. Ce sont là les « compétences complexes » pour lesquelles on observe une baisse « significative » (p.3)… Mais ces compétences sont-elles travaillées à l’école ? Rarement, semble-t-il (p.4), faute d’une réelle prise de conscience par la majorité des enseignants, et faute d’une formation adaptée.

Ces mauvais résultats n’ont rien d’inattendu si l’on se réfère au premier constat de la conférence de consensus[3]qui se tenait à Lyon, au printemps 2016 : la conférence de 2003 mettait déjà en évidence la vacuité des polémiques autour des méthodes d’apprentissage de la lecture. Cela n’a pas empêché divers ministres (Gilles de Robien et plus récemment Jean-Michel Blanquer) de les faire resurgir, pour des raisons sans grand rapport avec les sciences. Tous les scientifiques, adeptes des neurosciences compris, exprimaient en effet leur accord sur quelques points fondamentaux. Personne, sauf des politiques en mal d’approbation, ne conteste :

- la nécessité de travailler simultanément le code et le sens ;

- l’importance de l’automatisation de mécanismes de base et de stratégies ;

- l’importance de l’explicitation (ou métacognition) ;

- la nécessité d’enseigner la compréhension ;

- la nécessité de construire didactiquement le lien lecture-écriture.

Le problème n’est malheureusement pas seulement politique. Comme les recommandations de la conférence de 2003, celles de 2016 risquent de rester lettre morte. Elles ont été très bien relayées par les récents programmes. Mais ceux-ci sont largement battus en brèche, avant d’avoir été assimilés par les enseignants, par les déclarations d’un ministre qui avait pourtant promis de ne pas y toucher… On comprend que bien des enseignants soient découragés !

 

Les réponses ministérielles surprennent davantage

Le ministre a déclaré mardi que les résultats en question n’étaient « pas dignes de notre pays ». Certes… mais « mettre en place » la dictée quotidienne (déjà effectuée dans bien des classes) parait une réponse pour le moins décalée (on n’apprend pas à mieux lire en faisant des dictées), de même que l’intensification des évaluations : celles-ci consomment beaucoup d’énergie, permettent de mesurer plus finement ce que l’on cherche à observer… Mais évaluer ne donne pas en soi de solution,  quel que soit le problème. Surtout quand  on se préoccupe encore et toujours d’évaluer les compétences de reconnaissance des lettres, des syllabes et des mots, comme les récentes évaluations destinées au CP le font prioritairement. Car lire, ce n’est pas seulement cela !

Dans cette optique, le ministre projette de « promouvoir certains manuels »… Bien sûr, tous ne se valent pas. Mais les travaux de Roland Goigoux[4]montrent que le manuel utilisé par un enseignant de CP n’a pas réellement d’impact sur la réussite des élèves en lecture-écriture, y compris même pour ce qui est de l’apprentissage du code. Le fait de consacrer à ce domaine un temps très important (jusqu’à la quasi totalité des heures de français dans certaines classes) ne permet d’ailleurs pas non plus d’obtenir de meilleurs résultats. La plupart des manuels (et ce sont ceux qui se vendent le mieux) se consacrent quasi exclusivement au code, et rassurent ainsi les enseignants et les familles. C’est également ce que prévoit le ministère dans l’exemple d’emploi du temps[5] proposé sur Eduscol pour le premier trimestre du CP. Les « axes prioritaires » sont « la conscience phonémique, le principe alphabétique, l’écriture-encodage et la lecture à voix haute de syllabes, de mots ». On peut admettre de voir là des priorités : un élève maladroit et lent à déchiffrer consacre à cette tâche une part trop importante de sa « mémoire de travail » pour mobiliser les compétences inférentielles nécessaires à la compréhension. Mais ces priorités tournent, dans ce document, à une quasi-exclusivité.  En français, dans une journée de classe, on consacrerait 95 min à ces axes, contre 20 min au vocabulaire, 20 min pour « comprendre le fonctionnement de la langue » et 15 min pour la « compréhension d’une lecture longue faite par l’enseignant »… Un petit quart d’heure, juste avant la pause déjeuner, pour reposer des choses sérieuses, semble-t-il ! Une véritable séance de compréhension d’un texte entendu réclame nettement plus de temps et d’attention. Au mieux, ces 15 min (quand l’enseignant en trouvera le temps) peuvent être l’occasion d’une « lecture offerte », le partage d’un bon moment, mais cela ne saurait suffire.

L’acquisition du code est essentielle, en effet, mais lui donner une telle place au début du CP coupe l’apprentissage de la lecture du sens que l’écrit doit prendre aux yeux des élèves. On produit ainsi des déchiffreurs, pas des lecteurs. Pour que les élèves lisent de manière fluide, il faut qu’ils automatisent la reconnaissance des mots. Un seul moyen pour cela : lire beaucoup, ce que des enseignants inventifs s’efforcent de déclencher… mais pas tous. Les vieilles habitudes (lire « obligatoirement » un livre pour une date donnée, répondre ensuite à un questionnaire pour « prouver » qu’on a lu le livre) demeurent malheureusement dans bien des classes. Pour vraiment lire, il faut aussi comprendre, et cela n’est automatique que pour les élèves qui ont acquis dans leur famille cette culture de l’écrit que l’école se doit de faire partager à tous. Ce domaine est l’un de ceux que l’école laisse le plus de côté, comme le montre l’étude menée par Roland Goigoux. Il faudrait que, tout au long de la scolarité, les élèves aient l’occasion de développer des stratégies de lecture adaptées, il faudrait qu’ils aient l’occasion de comprendre que lire, c’est « aussi » et nécessairement « lire entre les lignes », qu’ils doivent pour cela mobiliser leurs connaissances, dans tous les domaines, et leur intelligence. Il faudrait, pour cela, que leur intelligence soit sollicitée.

 

Alors, que faire ?

L’évaluation porte sur les performances des élèves dans leur quatrième année d’école obligatoire et d’apprentissage du lire-écrire, au moment où ces compétences deviennent le moyen essentiel d’apprendre et de développer sa pensée. Tous, élèves, enseignants, parents et politiques (on peut rêver) doivent comprendre que lire est une aventure, un pari qui sera tenu si on ne méconnait pas la capacité des élèves à relever des défis, à s’interroger, à chercher et à écrire.

On lit également dans la note d’information que « Par ailleurs, les élèves français sont toujours les plus nombreux à s’abstenir de répondre lorsque les réponses doivent être rédigées. »… Et ce n’est pas anodin ! Faire écrire les élèves, les faire écrire vraiment, ne pas les cantonner à mettre des mots dans les cases, c’est leur permettre d’accéder à de vraies interrogations, et plus tard à l’autonomie.

Cela, on le sait depuis longtemps. On sait aussi l’importance du vocabulaire ou de la réflexion sur la langue, qui figurent dans les emplois du temps recommandés. Mais trop d’enseignants sont aussi démunis dans ce domaine que dans celui de la compréhension. Il va de soi qu’on ne sortira pas des ornières actuelles sans faire des efforts importants de formation, initiale et continue.

En attendant, continuons donc à chercher et à tirer le plus grand parti possible de la co-formation proposée par quelques associations, telles que l’AFEF.

 

Joëlle Thébault, CA de l’AFEF

 

 

Soumis par   le 11 Décembre 2017