Épreuves anticipées de français : retour vers le passé


Les épreuves de l’épreuve anticipée de français viennent d’être publiées sur Eduscol[1]et même si elles ne nous surprennent pas vraiment, il convient de s’interroger sur ce qu’elles peuvent signifier au plan de l’enseignement de la discipline.

 

Tout d’abord, les exercices interrogent quant aux modèles qui les sous-tendent : dissertation ou commentaire pour l’écrit des sections générales ; contraction-essai ou commentaire pour les sections technologiques. Explication de texte linéaire et question de grammaire pour l’oral. L’examen est recentré sur des exercices canoniques et fortement contraints faisant peu de cas de la créativité dont on nous dit cependant qu’elle est une compétence du XXIèmesiècle : exit le sujet d’invention, mais on le savait depuis plusieurs mois déjà. Ce recentrage a un léger gout d’épreuves universitaires et des concours de recrutement (CAPES et Agrégation) qui pourraient en apparaitre comme les modèles à suivre, particulièrement pour ce qui concerne l’oral. 

 

 

Mais il nous apparait surtout que le texte officiel relève d’un prescrit impensé à maints égards. 

 

Commençons tout d’abord par les épreuves écrites et plus spécifiquement par les sujets et leur nombre. On peut en effet se demander s’il y aura trois sujets de dissertations proposés. Par exemple, une sur les Contemplations, une sur Les Fleurs du Mal, une sur Alcools, et les parcours correspondants, en fonction de ce que les candidats auront traité dans l’année. N’y a-t-il pas là un risque d’une récitation du cours ? La même remarque se pose pour les filières technologiques : le thème de l'essai porte sur le thème ET sur parcours de l'œuvre étudiée DONC : 3 sujets de contractions/essais ? 

 

Par ailleurs, si les exercices proposés font écho à ceux proposés dans les classes préparatoires et les concours, comment vont-ils être mis en œuvre en classe ? N’y a-t-il pas avec l’exercice de la contraction – même s’il peut préparer aux classes de BTS – le risque de creuser davantage les inégalités – quand on sait que résumer un texte est une compétence de lecteur expert et qu’il ne peut se restreindre au seul comptage de mots ?  Quant à l’essai, genre par essence protéiforme, quelles en seront les attentes ? Celles-ci ne sont pour le moment pas précisées et il ne faudrait pas que cet essai cache une mini-dissertation, ou sinon, pourquoi ne pas le dire ? 

 

Concernant l’épreuve orale, se pose tout d’abord la question de l’écart entre les activités de lecture proposées dans les programmes et la nature des épreuves qui vont imposer un volume important de lectures et d’explications de textes à traiter dans l’année. La tension sera grande entre une lecture qui rende compte du sens et de l’esthétisme d’un texte et le risque d’une « lecture myope » du fait d’un texte réduit à vingt lignes le jour de l’examen. 

 

Par ailleurs, le format de l’épreuve qui minute et morcèle les différents moments de celle-ci (8 mn de lecture linéaire dont un temps de lecture à haute voix, 2 mn de grammaire et 8 mn d’entretien) pose aussi la question du choix par l’élève d’une seule œuvre préférée pour la 2ème partie de l'épreuve : on pourrait donc avoir un candidat qui passe sur une œuvre pendant que l'autre prépare et passera sur la même œuvre. N’aurait-il pas mieux valu une œuvre préférée par OE, ou au moins plusieurs œuvres lues dans l’année laissant ainsi du choix à l’examinateur ? Ne risque-t-on pas les élèves qui n'auront lu qu'une œuvre et qui prendront d'ailleurs en œuvre préférée pour cette 2ème partie une œuvre étudiée en intégrale avec le professeur ? 

 

Sur quel cadre didactique repose le choix de l’explication linéaire ?  Quelle en est même sa justification ? Est-ce un nouveau modèle de lecture (mais pour les enseignants, il s’agit plutôt du modèle de lecture universitaire évalué aux concours) ou fait-on référence à ce qui a déjà existé ? Si l’on peut néanmoins reconnaitre que la lecture analytique telle qu’elle existait n’évitait nullement le par cœur de plans distribués par les enseignants pour beaucoup d’élèves (alors même que les instructions officielles n’établissaient pas qu’il devait s’agir d’une lecture organisée selon un plan en plusieurs parties[2]), cette proposition interroge de manière complexe les visées d’enseignement : que transmet-on ? Des techniques d’analyse ? Une sensibilisation à des textes majeurs du patrimoine ? Si oui, comment alors éviter le par cœur avec des élèves peu à l’aise avec la langue de l’école ?  Quelles devront être les attentes précises des évaluateurs ? Elles devront être clairement posées et ne pas viser une exhaustivité impossible à atteindre.  

 

            Quant à la question de grammaire : s’agira-t-il uniquement d’une question d'analyse syntaxique ? Si oui, cela veut-il dire que l’enseignement du français au lycée vise aussi les connaissances linguistiques ? A quel niveau de précision ? Les programmes restent très généraux et imprécis quant aux savoirs à maitriser sur chaque notion pour en avoir une idée. Comment cette partie de l’épreuve doit-elle s’organiser ? Sur le modèle : définition, relevé de corpus dans le texte et analyse au regard de la définition initiale (tels les concours de recrutement) ? Se pose donc le problème des connaissances attendues, de leur planification dans l’année et de la didactisation des savoirs linguistiques. 

 

 

Mais loin de nous la seule intention de porter un regard critique sur ces épreuves. Le sens même de l’existence de notre association relève de la nécessité de penser au-delà et d’engager les collègues, nombreux à le faire, à continuer de revivifier l’enseignement de la littérature pour en finir avec le psittacisme que craignent beaucoup d’enseignants à la lecture de ces programmes et de ces épreuves. Ces nouveaux programmes nous semblent une occasion pour penser la visée de l’enseignement du français. 

 

Pour éviter de devenir un professeur de « commentaires », il est urgent de s’emparer de cette contrainte de 24 ou 16 textes pour travailler les textes "autrement", en visant la construction d'un véritable projet de lecture du texte par la classe, par des moyens variés, qui mettent réellement en jeu la réception personnelle des textes par les élèves en particulier plutôt que l'analyse exhaustive "des procédés d'écriture". 

Les écrits d’appropriation pourraient être un véritable levier afin que les élèves s’engagent dans un travail de réception personnelle. En effet, pour se préparer à l’entretien sur « l’œuvre préférée » du candidat, il pourrait s’agir d’œuvres travaillées en œuvre intégrale ou lues en lecture cursive, sans doute dans une liste limitative qui aurait été proposée par le professeur et dans laquelle l’élève mentionnerait son choix. Ainsi il est nécessaire de penser la lecture cursive dans le travail de la classe ; le retour des écrits d’appropriation compenserait alors la disparition des écrits d’invention : les candidats auraient réalisé un travail personnel particulier sur cette œuvre (journaux de lecture, écriture créative) rendant compte d’une véritable appropriation. 

L’entretien pourrait alors devenir le lieu d’un échange autour d’une lecture subjective ; il serait alors une modalité possible dans un continuum avec la pratique des débats littéraires pratiqués en classe tout au long de l’année. Cela interroge nécessairement la place de l’élève, de sa parole, du temps qu’on laisse à la pensée de l’élève. Ou comment faire de la classe enfin une communauté interprétative.

La lecture à voix haute serait aussi un levier pour penser le texte : en le lisant, en le partageant, en le proférant, on propose une vision, un possible interprétatif, on apprend à en faire part. La lecture linéaire serait alors une convocation de ses choix de lecture. 

Mais tout cela devrait être évidemment clairement posé dans les attentes à transmettre aux examinateurs si l’on veut que cela puisse exister de manière effective dans les classes et que ce travail soit reconnu et pris en compte à l’examen de manière explicite.

 

Les enjeux de la formation sont dès lors au cœur de notre réflexion. En effet, celle-ci devra avoir pour rôle d’autoriser les enseignants à poursuivre ou engager des pratiques qui semblent, en apparence, ne pas rentrer dans le cadre d’épreuves pour le moins traditionnelles. Les défis sont donc nombreux pour les formateurs et pour les associations telles que la nôtre :

  • permettre aux professeurs de ne pas se sentir écrasés par les modalités certificatives, par les contraintes de quantité – que de chiffres dans ces programmes !- pour penser sereinement le qualitatif
  • aiguiser le regard – encore - pour hiérarchiser et arbitrer en conscience : que vise-t-on ?  Des connaissances historiques et littéraires, des compétences langagières, des connaissances linguistiques ? Comment ces différents pôles doivent-ils s’entrelacer au bénéfice des élèves, dans le réel de l’exercice du métier ?  
  • réactualiser les connaissances et compétences en grammaire des professeurs de lycée afin qu’ils interrogent la place d’un enseignement de la langue : à quelle fin ? pour quoi faire ? 
  • exhiber de nouveau, avec plaisir et audace, les visées de l’enseignement ; proposer un enseignement qui permette à tous les élèves de vivre des pratiques langagières variées et exigeantes
  • faire penser le prescrit et le problématiser pour y lire en creux les leviers et les possibles.
 

[2]Elle vise la construction progressive et précise de la signification d'un texte, quelle qu'en soit l'ampleur ; elle consiste donc en un travail d'interprétation que le professeur conduit avec ses élèves, à partir de leurs réactions et de leurs propositions, BO du 30 septembre 2010.

Soumis par   le 19 Avril 2019