Témoignage de Pascaline, PLP lettres-histoire dans l’académie de Versailles


 

La mise en place du travail en continuité pédagogique au lycée professionnel a fait apparaitre les mêmes constats qu’en temps ordinaire et malheureusement, aggrave les difficultés que nous connaissons déjà. En effet, l’hétérogénéité est la même qu’en temps ordinaire et le décrochage scolaire s’accroit de façon inquiétante et creuse davantage les inégalités... 

La classe virtuelle peut fonctionner sur une heure ou deux mais c’est épuisant, c’est chronophage et ça n’incite pasles élèves à travailler😥 C’est souvent le bureau de pleurs et ou contraire un moment récréatif pour d’autres. On ne travaille réellement que 15 min sur 1h avec les classes entières ou les groupes. Pour un travail efficace il faut de petits groupes ou alors contrôler l’usage de la classe virtuelle pour certains élèves. Avec les élèves de bonne volonté ça se passe plutôt bien, mais ils manquent souvent d’autonomie et certains de confiance en eux. À quelques exceptions près ce sont les mêmes élèves qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Les problèmes de connexion sont une excuse pour beaucoup d’élèves passifs 😌 De manière générale, le côté hors cadre scolaire les stresse, donc il difficile pour eux de travailler individuellement après la classe virtuelle 😔On retrouve donc la même hétérogénéité qu’en classe : 

  • les élèves autonomes restent autonomes et savent s’adapter et contacter les enseignants au besoin, les élèves en difficulté motivés ou non (souvent la moitié de nos classes) font une partie de travail individuel et gardent le cap mais seulement avec un contact poussé et continu de la part des enseignants (mailing, relance par WhatsApp, appel téléphonique aux élèves et/ou aux parents). Mais dans cette majorité d’élèves, nous en perdons beaucoup en chemin… Ils rendent des travaux partiels, ils jouent aux absents et ne répondent pas toujours, formulent des discours négatifs à la limite de la déprime pour beaucoup. Ils ressentent un découragement sur lequel habituellement nous parvenons à travailler en classe (les professeurs circulent, ils organisent des binômes de travail, de l’AP, un guidage individualisé en fonction de l’exercice, du profil et des questions…). Donc nous perdons une partie de ces élèves lors de la continuité pédagogique…
  • pour les élèves passifs ou qui dysfonctionnent ou ceux qui ont un contexte familial « particulier », c’est très compliqué, il est difficile de les faire travailler individuellement et nous les voyons peu en classe virtuelle. Quand ils sont présents, ils écoutent, parfois participent mais il n’y pas ou peu de retours individuels après les classes virtuelles ou les relances. Donc nous perdons une partie de ces élèves lors de la continuité pédagogique ;
  • pour les élèves non francophones, les élèves dyslexiques, le travail d’écriture et de lecture est quasiment impossible, impossible aussi d’assurer un suivi s’ils n’ont pas des parents qui les accompagnent ou un suivi par les collègues d’ULIS. Nos collègues de ces ULIS (Unités localisées pour l'inclusion scolaire) en lycée professionnel sont des accompagnants essentiels qui permettent aux jeunes en situation de handicap d'acquérir une qualification professionnelle. C’est une présence quotidienne au lycée qui assure l’accompagnement humain nécessaire pour favoriser le travail scolaire. Nous perdons donc ces élèves à profil particulier que nous suivons habituellement en présentiel, accompagnés (mais pas toujours) par nos AVS ou autres ressources. 

 

Donc le bilan semble plutôt négatif. Le décrochage est massif. Les congés scolaires n’arrangent rien. Nous avons perdu l’essence même de notre travail en bac pro : un accompagnement individualisé et « humanisé ».  Garder un simple contact avec les élèves est une gageure !

Paradoxe très positif : pour les élèves autonomes et qui sont motivés (qui l’étaient déjà avant le confinement), la continuité pédagogique c’est le top !! Ils travaillent plus, font tout le travail, rendent tout en mieux. Ils sont ravis de refaire le travail quand nous leur faisons des retours individualisés. L’utilisation de ressources numériques est une plus-value énorme : utiliser Word, PDF, croiser les lectures avec des écoutes ou des vidéos, coupler exercices classiques et exercices ludiques. Ils refont le travail quand tu leur fais un retour personnalisé. Ils font les travaux "plan B" et bonus, vont visiter les musées virtuels que tu conseilles, lisent les livres, regardent les films et les reportages que nous proposons, les petites vidéos… Bref, c’est un bonheur 😁 Cela me questionne sur la différenciation pédagogique et l’utilisation du numérique pour ce type d’élèves. Bien que je pratique déjà la différenciation pédagogique, je ne l’ai peut-être pas exploitée à son maximum. Cela m’incite à repenser mes préparations de cours. Souvent, ces élèves-là sont parfois négligés car une fois qu’ils ont fait le travail, nous les félicitons, nous leur donnons parfois un travail supplémentaire (« à approfondir », « pour aller plus loin ») mais ce type de travail pourrait être repensé. Au regard du numérique. 

 

La continuité pédagogique en lycée professionnel, c’est plus qu’une gageure … Que dire de la logistique quotidienne ….

- Nous devons repenser au quotidien, comme par coup de baguette magique, tous nos cours, les adapter à la minute et pour plusieurs classes en même temps. Et cela pour peu de retours. Bref. 

- Nous sommes confrontés aux difficultés techniques et aux problèmes de connexion car les réseaux sont surchargés. Donc les élèves de bonne volonté, et tous en général, sont vite démotivés car les classes virtuelles ne se déroulent jamais comme prévu : déconnexion, problème de micro, élèves sans micros, coupures, impossibilité de travailler au-delà de 10 personnes. Donc les collègues comme les élèves s’agacent. 

- Nous sommes confrontés aux élèves qui ne peuvent pas se connecter pour des raisons techniques ou familiales (pas de tablettes ou de PC ou des téléphones avec des connexions insuffisantes). Donc, la continuité pédagogique est vraiment révélatrice des inégalités socio-économiques. 

- La gestion du corrigé des activités est compliquée : on envoie la correction ? Le fait-on en classe virtuelle ? Envoie-t-on les corrigés même si personne n’a rendu le travail ? Que dire du côté « normatif » du corrigé ?

- Les liens pour les faire travailler avec le numérique ne fonctionnent pas toujours… Donc c’est parfois une journée de travail qui tombe à l’eau … Bref …

- Il faut au quotidien faire de la préparation de classe virtuelle, assister aux classes virtuelles, gérer l’après classe virtuelle et s’occuper en même temps des retours de mails des élèves : faire des réponses individualisées. Donc la différenciation pédagogique on y est, mais ça prend du temps, beaucoup de temps (vraiment beaucoup) pour chaque mail, chaque élève, chaque échange). Bref🤯

 - A cela s’ajoute : les mails de la hiérarchie, les mails des collègues, les documents à renvoyer à la hiérarchie, aux CPE, aux PP (comptes rendus, documents Excel ou autres formats pour signaler quel élève travaille, qui a rendu le travail entier ou partiel, avec quel élève avons-nous un contact (même sans travail), si on des infos sur les parents, le contexte familial).

Ou toi, si tu es PP il te faut gérer les retours de tes collègues. Bref🥵

 

Le quotidien de la continuité pédagogique c’est aussi ça :

- les mails à lire, classer, trier,

- les petits tableaux créés pour chaque classe avec les types de devoir, quel élève a rendu tout ou partiellement ou pas du tout. Les notes que tu mets. Et .... oh tu viens d’apprendre que le gouvernement a décidé que tout ce que tu as fait pendant le confinement (mails, conseils, travail, devoirs, corrige, liens…) et bien ça ne compte pas....🤨😡. Bref. 

Mais tu ne te démontes pas. Par une pirouette intellectuelle, tu envoies à tous tes élèves un mail dans lequel tu leur fais croire que toutes les notes seront transformées en notes par compétence pour le contrôle continu. Ouf. La majorité y croit... C’était le seul moyen pour garder de ton côté ceux qui travaillent, de conserver d’une certaine façon leurs notes (à leur demande …) et éviter aux autres de rentrer dans la brèche de la passivité en brandissant la traditionnelle phrase "Ah ben tu vois, ça servait à rien de travailler ..." Bref...

- Il faut aussi compter toute la gestion sur clé USB et sur les drive, les documents à classer, à imprimer, à mettre en PDF, en Word ou en jpeg, à envoyer par plusieurs sources (ENT, pronote, mail, photo…), les documents que tu dois télécharger, envoyer. Les consignes à envoyer aux élèves, aux familles 😔🤯. Bref…

Et alors le top du top ! En même temps que tout ça, tu dois gérer le téléphone !!!!!!!! 😟 Les conversations WhatsApp multiples, les appels aux collègues, aux élèves non connectés, aux familles parfois. Bref…

J’en oublie ??? ...😵

Ah oui… Parcoursup en même temps…

Et les réunions virtuelles avec le CPE et celles avec les collègues…

Et heu... on fait comment avec les non francophones, les dyslexiques, les profils atypiques... ?

Ben heu ....🤷♀️

Donc c’est des heures incalculables de PC par jour en parallèle de tout ce qui se fait hors PC. Cela même le week-end.  😱 Pendant plus de 15 jours j’étais pour ma part à plus de 50h de boulot par semaine. 

Qui paye les heures sup ?🤦♀️Ah et j’oubliais... accessoirement tu as une vie de famille à côté.. (mari, enfants, le quotidien)👨👩👧👦👫💏🧘🛀🛌

 

Donc si tu arrives à faire tout ça quand tu as plusieurs classes… Déjà, tu es superwoman… 

(Donc je suis superwoman ???🤔).

 

On devrait créer les dix commandements de la continuité pédagogique ….. Non ?!

  1. Tous les jours les mails tu ouvriras. 
  2. Tous les jours, des retours à tous tes collègues et élèves tu feras …. 
  3. Disponible 24H sur 24 tu seras …. 
  4. Être polyvalent : enseignant, psychologue, assistante sociale, éducateur, éducateur spécialisé, informaticien, maman, compagne, ami(e), tu seras. 
  5. Des cours en un claquement de doigts tu referas.
  6. Nouveaux cours avec le numérique tu créeras.
  7. Sur le numérique sur tous les outils de classe virtuelle tu te formeras.
  8. De multiples conversations WhatsApp et un téléphone qui sonne tout le temps tu auras.
  9. Le deuil de la notation tu feras et tous les problèmes techniques, tu accepteras.
  10. Garder le sourire face aux remerciements et retours positifs des élèves et parents tu pourras.

 

Voilà la continuité pédagogique…. Y était-on préparé ? Non … Faisons-nous bien ? Oui et non… Nous faisons de notre mieux et dans ce mieux il y a le pire comme le meilleur. Mais on a le mérite d’avoir des ressources : notre volonté inébranlable dans l’apprentissage, dans la culture, dans l’envie d’apprendre et l’envie de transmettre. 

 

Tout ça pour dire : oui on a suivi, oui on l’a fait. Parce qu’on aime notre métier, on aime relever des défis, on aime partager, on aime nos élèves et on aime participer à l’apprentissage.

Mais prêts ? Non, on ne l’était pas. Pour plein de raisons diverses et variées (matérielles, techniques, personnelles ou autres) et surtout parce qu’il est impensable de croire que nous avons les capacités changer radicalement nos pratiques sur tous les plans en même temps... Et pourtant…

Commentaires

Soumis par   le 20 Avril 2020