Un choix méthodologique dans l’enseignement-apprentissage du vocabulaire en FLM-FLE/FLS-FLScol., de Philippe Normand


Jacqueline Picoche, de la théorie à la pratique.

 


Un choix méthodologique dans l’enseignement-apprentissage du vocabulaire en FLM-FLE/FLS-FLScol.

Jacqueline Picoche, de la théorie à la pratique.

Lire en format doc

 

Il y a quelques années de cela la grande lexicologue et historienne de la langue française, Jacqueline Picoche, professeure honoraire et auteure – elle milite pour la féminisation des mots des professions qui n’ont qu’un masculin – de nombreux ouvrages savants comme le Dictionnaire étymologique du français (Le Robert) s’est intéressée à la Didactique du vocabulaire (Nathan 1993). Avec Jean-Claude Rolland, linguiste longtemps rattaché au CIEP, ils ont composé le Dictionnaire usuel du français (Duculot-De Boeck 2002). Jacqueline Picoche ne s’est pas contentée de la théorie où se côtoient structuralisme et sémantique mais elle a mis la main à la pâte pour nous offrir dans des revues pédagogiques et dans des manuels de belles leçons de vocabulaire/lexique qui n’ont pas pris une ride mais ont été trop vite rangées au magasin des accessoires comme on sait bien le faire en pédagogie. Elle pilote – le mot pilotage est à la mode dans les ministères - une petite équipe sous l’autorité de Bruno Germain, chargé de mission maitrise de la langue française au Ministère de l'Éducation Nationale.

A l’occasion de la parution en 2012 de VOCALIRE, une version simplifiée du dictionnaire usuel, et de la présentation dans Lexique et vocabulaire : quelques principes d’enseignement à l’école (2011) sur le portail EDUSCOL, je souhaite revenir sur ces leçons prêt(es)-à-porter issues de la haute-couture lexicographique pour donner envie aux jeunes collègues d’en savoir un peu plus en consultant le site de la toujours très active Jacqueline Picoche qui a été, pour l’anecdote, mon professeur d’ancien français à l’université d’Amiens.

Ces leçons - j’utilise volontairement ce terme qui pourrait sembler désuet mais on a bien abandonné la « séquence » (et ses « séances »?!) que des détracteurs n’ont eu de cesse d’honnir, pour revenir, dans les nouveaux programmes de français, sur la « période » - peuvent s’inscrire dans différentes démarches méthodologiques : transmissives, intuitives, inductives et, au mieux, actives[1], celles qui ont donné naissance, historiquement, aux leçons de choses[2]. En effet, toute option méthodologique doit être « explicite » et « transparente [3] » et dépend de nombreux paramètres, en premier lieu celui des besoins langagiers[4] de chacun des élèves.

Elles font donc l’objet de « tâches et/ou activités[5] » sous la forme de nouvelles fiches pratiques dont certaines sont accompagnées de vidéos sur le site http://www.vocanet.fr

 

LEXIQUE/VOCABULAIRE

Pour Jacqueline Picoche, le lexique est l’ensemble des mots de langue française et qu’aucun dictionnaire ne peut rassembler. Le vocabulaire est un sous-ensemble, celui, par exemple, des mots connus par un individu ou celui des mots à connaitre, enseignés et appris aux élèves dans toutes les disciplines. Pour s’y retrouver et faire le tri, elle se base sur les différentes listes de fréquence dont la plus célèbre, le Français élémentaire ou standard.

Pour la petite histoire, cette étude dirigée par le linguiste (George Gouggenheim) Georges Gougenheim à l’école normale de St Cloud a connu en son temps un « buzz[6] » aujourd’hui oublié qui s’est vu opposer un pamphlet deux fois plus épais : Français élémentaire. Non par le prestigieux linguiste  Marcel Cohen et par son cercle de jeunes linguistes ; prix Nobel et membre du PCF, le plus grand parti de gauche à l’époque. Néanmoins, l’ouvrage du CREDIF sera réédité par la direction de la coopération du ministère de l’éducation qui développait après la seconde guerre mondiale, une importante politique de diffusion du français sous le titre Français fondamental.

 

VERBES/NOMS

Comme Colette Noyau, linguiste et spécialiste du FLS, elle donne la priorité au verbe autour duquel elle place des actants, uneterminologie qui s’inscrit dans la sémantique structurale d’A. J. Greimas. Les actants sont les noms et leurs qualificatifs qui s’agrègent au verbe selon les usages de la communication.

En transformant les phrases, en les reformulant, on accède aux dérivés des verbes.

Les feuilles changent de couleur. L’automne fait changer la couleur des feuilles. La couleur changeante des feuilles. Le changement de couleur des feuilles.

Les exercices sur les familles de mots, eux, sont plus connus et déclinés à l’envie dans les manuels de français.

J. Picoche souligne qu’on peut, bien entendu, partir d’un nom de haute fréquence, d’un adjectif non dérivé exprimant un sentiment ou une sensation ; elle suggère la métaphore de la grappe de mots en relation sémantique mais aussi syntaxique ; on peut ajouter que le vocabulaire prend son sens dans des tâches langagières (des actes de parole/de langage[7] ?) socialement ancrées qui sont au cœur de l’Approche communicative[8]  voire de la Perspective actionnelle[9]. La didactique du FLE avait une longueur d’avance dans l’enseignement-apprentissage du vocabulaire avec les travaux de Robert Galisson[10] que Jacqueline Picoche appréciait beaucoup.

Comme exemples bien utiles pour l’enseignement-apprentissage du français aux allophones (adultes ou enfants), on renvoie aux verbes savoir et connaitre sur le site : www.jpicochelinguistique.free.fr

 

POLYSEMIE

Il est nécessaire de partir du concret pour aller vers l’abstrait, le métaphorique ; il ya donc un ordre d’accès aux polysèmes.

La bouteille est enverre. On va boire unverre ?

MOT/CHOSE

Et, moins évident qu’il n’y parait, il faut partir l’étude du mot et non de la chose – depuis les leçons de mots avec les célèbres planches Rossignol et la méthode par l’aspect on était habitué au contraire. Cette démarche est d’autant plus importante si l’on part de verbes hyper fréquents comme devoir véritable « machine sémantique ».

De son côté, Colette Noyau a constaté l’absence d’activités spécifiques sur le lexique verbal très fréquent et hautement polysémique dans l’enseignement du FLS au Togo (pj).

Comme il s’agit bien d’acquérir ou de perfectionner une compétence lexicale[11] j’emprunterai, pour conclure, les mots de Jacqueline Picoche :

« Et, s’il est vrai que “dire, c’est faire“, ce seront aussi des possibilités d’action ».

Elle ne croit pas si bien dire car le Data-Driven Learning[12] (DDL), encore confidentiel en France (CRAPEL de Nancy) mais d’un usage croissant en didactique des langues chez nos voisins anglo-saxons, peut renouveler l’étude du vocabulaire à travers une quantité illimitées de corpus oraux ou écrits qu’Internet met à notre disposition.

-       Le Dictionnaire du Français usuel (de Boeck 2000) et ses 442 articles qui existe en version numérique regroupe  un trésor relativement modeste mais suffisant de 15000 mots (un quart du Petit Robert) et constitueen somme 442 grandes leçons de vocabulaire dont il serait parfaitement possible de faire le tour entre les classes primaires et celles du collège, nous précise-t-elle.

 

-       VOCALIRE(Ed.lulu.com 2012) en est une version de 7500 mots essentiels (cf. pj) pour tout apprenant francophone ou allophone.

 

Philippe Normand

Chargé de mission au Casnav de Paris

 

 



[1] J. Beauté,Courants de la pédagogie. Chronique sociale 2008

[2] Marie Pape-Carpantier, conférence devant les instituteurs, exposition universelle de 1867

[3] Cadre européen commun de référence pour les langues (chap. 6), Didier 2001

[4] R. Richterich, Besoins langagiers et objectifs d’apprentissages. Hachette 1985

[5] Idem note 2 (chap. 7)

[6] J. Cl. Chevalier, Le pamphlet : Français élémentaire. Non. 1955, Documents SIFHLES 2006 (en ligne)

[7] M.Martins-Baltard, Niveau-Seuil, Conseil de l’Europe 1976

[8] S. Moirand, Enseigner à communiquer en langue étrangère. Hachette 1982

[9] La perspective actionnelle et l’approche par les tâches en classe de langue, LFDLM, Recherches et applications n°45, 2009

[10] R. Galisson, Des mots pour communiquer, éléments de lexicométhodologie. CLE International 1983

[11] CECRL (chap. 5, paragraphe 5.2.1.1)

[12]Tim Johns (1991), Alex Boulton, Data-Driven learning : The perpetual enigma. 2011 (en lingne) ligne

Soumis par   le 27 mai 2013