Témoignages Formateurs académiques


Créteil

1.

Je crains une évolution de la formation dans son ensemble vers des sessions « pré-pensées », sur des formats courts n’invitant pas au positionnement des enseignants en tant que penseurs-experts. Ces formats courts de 3h ou 6h sont répétés sur un modèle unique comme s’il était concevable que les besoins soient les mêmes pour tous et pour chacun. Il me semble également que certaines formations sont de fait des animations. Par exemple, je dois intervenir pendant le Forum de la Persévérance et lors de la réunion de préparation, on nous (les formatrices) donne un Genially à utiliser pas à pas, déjà construit, et la construction des compétences  des enseignants  passe par un cumul d’outils numériques, comme si l’outil (ici Wooclap) permettait en soi la construction de la pensée. Et là, nous sommes sur 5 ateliers avec exactement le même déroulé, scandé par des « mises en commun technologiques », en quelque sorte. Je crains que cette approche assez stérilisante ne se multiplie.

Je m’interroge en parallèle sur le rôle de l’inspection en lien avec l’EAFC.  Quel est le rôle des inspecteurs dans la construction/la sélection des contenus de formation ?  Elle me semble peut-être plus grande. Hier, en MDL, on me demande d’envoyer mon déroulé de formation afin de les communiquer à l’inspection, avant le webinaire de mardi. La réponse est non. je peux travailler avec l’inspection en amont, et parfois même, je le souhaite. En revanche, je n’ai pas à soumettre mon contenu à validation. Cela est-il en train de changer ? Auquel cas il y aurait un mouvement parallèle : des enseignants qui deviennent des exécutants, les formateurs également.

Dans le questionnaire d’origine, on nous proposait d’évoquer ce qui fonctionne, selon nous, en formation. Pour moi, ce qui permet de « déplacer » sont tous les formats et activités qui respectent les collègues dans leur professionnalité. J’utilise ce que tu nous as appris, .... Fondamentalement, partir des questionnements émanant du terrain, accueillir les doutes, les inquiétudes, les mauvaises humeurs parfois et leur donner légitimité, forme, en posant les mots didactiques ou pédagogiques qui les éclairent. Dans un second temps, grâce aux apports, répondre au moins partiellement à ces questionnements et doutes. Accueillir ne suffit pas, « mettre en commun en atelier » ne suffit pas. La formation est un moment privilégié où on peut déplier nos gestes professionnels, les comparer, les enrichir, les discuter. Cela prend du temps et cela ne peut pas être fait par le biais d’un Genially ou d’un diaporama. On forme avec l’élaboration du langage, on permet les tâtonnements et les découvertes, les nouveautés … ou anciennetés éclairées par la recherche. On fait appel à l’intelligence collective et c’est merveilleux, parce que très souvent, elle est là !  Donc … ne la tuons pas.

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2.

Si je peux apporter ma mince contribution à la réflexion commune, je prendrais un angle peut-être un peu différent de celui habituellement axé sur des questions didactiques, car je ne doute pas qu'elles seront abordées et abondamment documentées. 

En fait, et c'est en travaillant sur le référentiel de l'EP que m'est venue cette priorité, mais aussi suite à ma propre expérience professionnelle quel que soit l'établissement (mon expérience à Berlioz ayant porté quand même la problématique à un niveau très élevé). 

Voici donc le sujet et qui concerne le point numéro1 sur les savoirs enseignés : 
  

Favoriser le travail collectif de l’équipe éducative : Ce qui me semble important et intéressant à noter, c'est que cette question qui est pourtant notée à égale importance de toutes kes autres dans les référentiels, me semble, de mon expérience personnelle, une des failles les plus importantes de notre pratique professionnelle, en dépit de tentatives, et d'injonctions à faire.

Alors que sont proposées des réflexions, des outils, des problématisations et des formations sur la didactique et la parentalité par exemple ; il ne me semble rien exister ou presque sur le thème professionnel du travail en équipe, de la communication professionnelle, de ce qui peut et doit faire partie des pratiques quand on a à faire en équipe à un groupe d'élèves : comment mener un conseil pédagogique et de quoi parler ? 

Quels devraient être les passages indispensables d'un conseil de classe ? Est-il professionnellement possible qu'aucune discussion ouverte sur des questions didactiques ou pédagogiques liées aux élèves et aux classes n'ait lieu avec l'équipe, le PP, la direction sur l'ensemble d'une annéescolaire dans un établissement dans un vrai espace-temps dédié ? Je ne parle pas du "conseil pédagogique" dans lequel on parle de tout sauf de didactique
et de pédagogie rééllement. On pense que cela va de soi probablement, mais il n'y a pas d'observables clairs, d'attentes, ni la moindre obligation à faire, c'est presque un impensé de la professionnalisation métier, or cette liaison déficiente, trop souvent laissée au bon vouloir de certains collègues et à des collaborations ne reposant que sur des affinités me semble assez loin de l'idée que l'on peut se faire d'une vraie démarche professionnelle organisée et faisant appel à des gestes métier et des méthodes qui organisent et qui limitent et protègent aussi. La communication par messagerie par exemple est souvent traitée de façon binaire soit comme "un problème pour ma tranquillité et ma liberté et une intrusion dans mon temps libre" soit comme "une nécessité d'informer sans attentes en retour". On devrait je pense être capables de s'emparer de façon plus pertinente d'un sujet aussi crucial que la communication.

Il y a donc peut-être là-dessus aussi des champs à explorer et des thèmes-réflexions discussion à lancer de notre part pour le bien des élèves mais aussi des professeurs à une époque où le métier est plus dur qu'il ne l'a jamais été et que se sentir seul et sans ressources professionnelles en interne est une des causes possibles du découragement et de souffrance dans ce métier. Il ne suffit pas de créer des instances institutionnelles collaboratives sans arrêt dans lesquels
il ne se dit rien d'utile car il n'y a aucune méthodologie de travail, aucun observable et aucunes attentes de suivi. Les chefs d'établissements eux aussi souvent n'ont
pas les compétences didactiques pour piloter ces espaces didactiques et pédagogiques et ils n'ont qu'une vision administrative de ces temps qui n'aboutissent à rien
d'utile en classe et contribuent à alimenter l'idée que "se voir ne sert à rien".

 

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3.

Concernant les savoirs enseignés formation, "le rapport à" me parait être une piste trop souvent mise de côté par la formation. On voit bien encore un "rapport à" aux compétences langagières en général qui souffrent de trop d'opacité et dans sa construction des représentations liées au sujet-enseignant tout entier. L'implicite dont Bautier parle beaucoup n'est pas tant dans l'absence d'enjeux d'apprentissage dans une séance mais dans leur foisonnement. La formation gagnerait sûrement à encourager la mise au jour et la conscientisation de ces "rapports à". De ce point de vue, toute activité "méta" à chaque étape de formation me parait essentielle. C'est donc une réflexion qui est liée aussi aux acteurs qui sont trop peu encouragés au CAFFA par exemple à penser, à concevoir des formations (avec tout ce que cela implique). Ce qui n'est pas un problème que de CAFFA, car, penser la formation, c'est aussi penser l'ingénierie et là aussi, je trouve que cela manque du point de vue des FFO. 

Du point des savoirs d'actions transversaux à aborder en formation, je plaide pour une formation qui colle au terrain avec des grilles de lecture partagées (Bucheton, Duvillard, Ria), des analyses de situation qui invitent à remettre du "didactique" sans s'éloigner des problèmes périphériques. Pour être plus clair, je plaide pour une centration sur le sujet qui vise, là encore, à défaire les nœuds conscients et inconscients qui entrent au cœur de chaque geste professionnel. 

Pour la réforme, je serai bien incapable d'émettre une réflexion aboutie. Je perçois juste une réforme de la formation continue chaotique du point de vue de sa communication.

 

Soumis par   le 13 Février 2023