Témoignages de formateurs académiques


Caen

 

Mon ressenti est que la formation (FI comme FC) s’enferre dans des contradictions que les formateurs tentent de réduire afin que tout se passe pour le mieux (du côté de la commande institutionnelle et du côté des formés). Mais combien de temps sera-t-il possible de tenir cette tension ?

La volonté de professionnalisation de la mission de formateur depuis quelques années (Caffa) semble étrangement s’accompagner d’une dégradation des conditions d’exercice de cette mission. Doit-on en conclure que les formateurs sont tellement experts en… tout domaine qu’ils seront capables de s’adapter à toute situation ? Notre petite académie (Caen) en fait les frais – c’est le cas de le dire puisque la rémunération des formations devient… ridicule - depuis la création de la grande académie normande. Est-ce le cas ailleurs ? [1]

Une autre impression : les grandes ambitions affichées de l’Institution pour la formation VS les moyens dérisoires dont elle dispose pour sa mise en place. Je vise la création des E.A.F.C. Sur le papier, c’est assez bien construit : des parcours de formation progressifs, individualisés, pluriannuels… Mais qui fait quoi ? A quel niveau (modules) ? Quand prépare-t-on ? Quand construisons-nous ? Quand forme-t-on ? Où ?... Certes, on peut me répondre qu’on en est aux balbutiements, que c’est aussi aux cadres et aux formateurs de construire, d’alimenter cette nouvelle offre… mais la méconnaissance de la réalité d’une journée de formation (notamment les temps de préparation, contact, suivi, l’amplitude horaire d’une journée de formation) dont a fait preuve Mme B. à la dernière réunion de la DAFOP qui nous présentait l’E.A.F.C. aurait tout de même refroidi tout un régiment (pardon ! tout un « vivier » de formateurs). Les conditions qu’on nous propose ne sont pas du tout en adéquation avec la réalité.

La FI n’échappe pas non plus à ces contradictions. L’année 2021-2022 a été particulièrement compliquée à mettre en place (et pourtant je n’ai participé qu’à une toute toute petite part de ce travail). Les étudiants et professeurs stagiaires présentent des profils et des parcours plus variés, me semble-t-il. Cela peut sans aucun doute représenter un atout pour la profession…[2] si les formateurs qui les encadrent les connaissent bien et soient en mesure de leur garantir un accompagnement au long cours. Ce n’est pas mon ressenti depuis la mise en place de la nouvelle offre de formation initiale et pourtant, je réalise un nombre d’heures non négligeable à l’Inspe, mais justement ces heures sont éparpillées. Pour des raisons d’organisation, les cours sont parfois distants de plusieurs semaines. 

Autre point extrêmement important et que nous avions souligné avec mon collège PFA intervenant à l’inspé lors de l’annonce de la réforme : le fait d’intervenir de moins en moins en binôme. C’est regrettable pour les stagiaires et pour nous-mêmes. Je n’ose évoquer la situation ubuesque dans laquelle se retrouvent les T0 temps-plein : peut-on dire qu’ils bénéficient d’une formation continuée ? Quel intérêt accorderont-ils lors des prochaines années aux offres de formation continue au vu de cette entrée dans le métier ? 

Une de mes inquiétudes à l’observation de ces faits : une cristallisation des pratiques ou au contraire (encore une contradiction !) une course échevelée aux expérimentations pédagogiques de tout poil de la part des collègues sur le terrain. Parce qu’il faut bien faire cours et trouver des solutions. Les collègues expriment bien un besoin de formation, peut-être pas tous de manière explicite. Mais les réseaux sociaux, par exemple, deviennent des repères (re-pairs ! ah ! ah !) de « formation », d’ « échanges de pratiques ». Quand on écoute les profs en parler, c’est : « Tu comprends ? on a les supports tout de suite ! Unetelle a tenté telle activité, ça a super bien marché !... » 

Sur un plan beaucoup plus prosaïque cette fois : la gestion administrative des missions de formation commence à poser sérieusement problème. Par exemple, entre l’Inspe et le Rectorat la perte de temps et d’énergie pour régler ces problèmes est colossale : il est désormais habituel que je passe des heures (tout cumulé, on peut en effet parler d’heures) à formaliser des tableaux d’heures, à les envoyer à trois ou quatre interlocuteurs, à re-formaliser autrement pour une autre personne, à envoyer des mails conjoints dont on me répond qu’ils ne sont pas adressés au bon endroit, à réclamer des OM, à re-réclamer des OM (Sisyphe peut aller se rhabiller…). 

Pour la FC, les OM qui arrivent au dernier moment, les remboursements des frais de route tardifs, les petites incursions, regard baissé et fuyant dans le bureau des chefs d’établissement pour expliquer que « non, je n’ai pas encore d’OM, mais que oui, je serai bien en formation ce jour, que oui, je préviens mes élèves, que non, je ne peux donc pas assurer telle sortie… ». La mésaventure actuelle d’un de nos collègues formateurs aux prises avec son chef d’établissement qui lui demande de rattraper les heures passées à animer des formations, même si on ne connaît pas tous les détails de l’affaire, paraît totalement ahurissante sur le principe. 

Être formateur/formatrice, c’est consacrer beaucoup de temps à son travail (mais comme tout enseignant), sans aucun doute la passion du métier (n’ayons pas peur des mots), une interrogation et une curiosité constantes portées sur nos pratiques, un regard à la fois de généraliste et de spécialiste, mais ce n’est certainement pas un don, encore moins celui d’ubiquité.

Former est donc bien un engagement… il m’est facile de comparer les revenus d’une enseignante formatrice déchargée et d’un enseignant non formateur mais tout aussi investi : la différence entre les deux sur une année équivaut à un salaire (un peu plus de 2000 euros) en faveur… de l’enseignant qui n’a pas de mission de formation. J’ai toujours scrupule à évoquer cet aspect, sans doute parce que l’Institution, elle, en a beaucoup moins à l’occulter facilement.

Enfin, pour terminer sur une note positive : travailler pour la formation, c’est aussi partager avec des collègues toujours stimulants, s’enrichir mutuellement, toucher à toutes les dimensions du métier d’enseignant, créer une émulation intellectuelle constante. C’est le côté précieux de la formation, et donc fragile. Ce serait bien que l’Institution en prenne grand soin…

 

 

 

 

 

 

 

[1] Une partie de la réponse : nous ne sommes malheureusement pas un cas isolé même si les contextes sont très divers, ce qui pose également question (ma mission de IAN m’a permis d’apprécier tout un panel de rémunérations, décharges… assez large. Ce n’est certes pas forcément de la formation cette mission de IAN, mais disons que de tels écarts apparents à partir d’une lettre de mission assez similaire peut laisser dubitatif (enfin moi, ça me fait cet effet).

[2] Je ne parle pas du concours en fin de M2, c’est un autre débat.

Soumis par   le 13 Février 2023