Palmyre, l'irremplaçable trésor, de Paul VEYNE


Lecture proposée par Gérard Malbosc

PALMYRE, L’IRREMPLAÇABLE TRÉSOR

Paul VEYNE

 

 

 

Albin Michel Éditeur

Novembre 2015 - 144 pages

EAN13 : 9782226315113

Prix : 14.50 €

 

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Lecture proposée par Gérard MALBOSC

 

Sous ce titre, le grand historien de l’antiquité gréco-romaine Paul Veyne nous a livré il y a quelques semaines un petit livre[1]  très éclairant sur les splendeurs de cette cité du Moyen-Orient dont des éléments importants ont récemment été détruits. L’ouvrage comporte un cahier central de photos prises avant l’été dernier et son auteur, à travers le récit historique, nous livre quelques explications sur le fonctionnement de cette société et des remarques personnelles sur les évènements récents.

En effet, cet ouvrage ne se veut pas un traité d’érudit mais celui de quelqu’un qui considère qu’il est de son « devoir  d’ancien professeur et être humain de dire sa stupéfaction» (p.11) devant ce désastre, malheureusement peut-être pas terminé.

 

L’ouvrage explore essentiellement, pour « l’honnête homme », l’époque de Zénobie. Résumer ce livre, qui lui-même résume l’histoire, n’aurait guère de sens. Je m’attacherai plutôt, en replaçant Palmyre dans un contexte plus large, à quelques passages « transversaux », à quelques éléments sur l’organisation de la cité qui me semblent intéressants pour comprendre la situation actuelle.

 

Le nom de Palmyre vient du grec : « ville des palmiers ». Son nom sémitique, Tadmor, attesté sur des plaquettes assyriennes du IIème millénaire avant JC, lui a été redonné après la conquête arabe de 634.

Outre Palmyre, les sites antiques majeurs ne manquent pas en Syrie. J’en rappellerai quelques uns. La liste est loin d’être exhaustive et l’ordre n’est pas signifiant[2] :

Ougarit : des plaquettes dans huit langues datant de 4000 ans et l’apparition de la première écriture alphabétique ;

Maaloula : un autel dont la facture le date d’avant 325 dans l’église du monastère Saint Serge ;

Apamée : une cité romaine avec une grande colonnade un peu moins vaste que celle de Palmyre, mais au milieu des fleurs et des blés, du moins quand tout cela était visitable… ;

Les « villes mortes » (jebel Semaan, Sergilla) : des cités byzantines construites au Vème  siècle, abandonnées au XIème  pour des raisons qui restent mal comprises, réoccupées depuis 2013 par des réfugiés, pilonnées par l’aviation russe en octobre dernier ;

Maaret an-Numan[3] : un musée de mosaïques byzantines[4], provenant pour la plupart des « villes mortes » ;

Alep : une cité dont l’existence est attestée sur des tablettes assyriennes ; comme ailleurs, une mosquée d’époque omeyyade, un musée, des souks, mais aussi une citadelle dont l’entrée en chicane a servi de modèle à celle du Palais des rois de Majorque à Perpignan ;

Damas, bien sûr, et sa Grande Mosquée des Omeyyades renfermant le tombeau de St Jean Baptiste[5], son musée, ses souks, ses artisans verriers, dinandiers et autres pratiquant le « damasquinage », tisserands de linge « damassé » ; forgerons de « damas soudé », dont la technique a été reprise par les Croisés pour leurs épées.

Et bien d’autres endroits magiques, le Krak des Chevaliers, Résafé, Doura-Europos, Bosra, Ebla, Mari... d’époques et de cultures différentes qui pourraient, qui devraient faire de ce pays une des toutes premières destinations touristiques.

 

Le livre de Paul Veyne est riche d’enseignements sur la cité telle que l’on pouvait la voir il y a peu encore, telle qu’elle devait être à l’époque de Zénobie et qu’elle devait vivre. Ainsi, Palmyre était une riche oasis commerçant les perles, la soie, les épices depuis l’Inde via l’embouchure du Tigre et celle de l’Euphrate jusqu’aux ports phéniciens, Amrit par exemple, dont il ne reste pas grand chose, et l’ile d’Arouad, près de Tartous. Le commerce pouvait se faire en grec, en latin, en araméen, en persan. La conquête par Alexandre a intégré durablement la ville au monde grec, puis gréco-romain. Les habitants ont su adapter leur civilisation d’une grande richesse à ces éléments nouveaux : le temple de Bêl dispose de fenêtres, puisque le dieu y habitait[6], ce qui ne se trouve pas dans les homologues grecs ou romains ; le théâtre était petit, mille à deux milles places, et donc ne participait pas aux concours habituels à cette époque ; on ne trouve pas de cirque ni d’hippodrome, donc pas de combats de gladiateurs ni de courses de chars. Les sculptures, funéraires en particulier, reflètent les influences grecques, sémitiques, parthes : les personnages sont représentés dans des tenues mêlant ces diverses origines.

Ces richesses et les caravanes étaient protégées par des guerriers valeureux et renommés, dont Zénobie saura se servir contre Rome et pour aller jusqu’à prétendre au trône impérial.

 

« Mais pourquoi, en août 2015, avoir fait exploser et détruit le temple de Baalshamin ? [quand ils ne mettent pas en vente les trésors] Parce que c’était un sanctuaire où les païens d’avant l’Islam venaient adorer des idoles mensongères ? Non pas, mais parce que ce monument est vénéré par les Occidentaux actuels, dont la culture comporte un savant amour pour les « monuments historiques » et une vive curiosité pour les croyances d’ailleurs et de jadis. (…) ils ont fait sauter ce temple (…) pour nous montrer qu’ils ne respectent pas ce que vénère la culture occidentale. » (pp.118-119)

Et ce que vénère la culture occidentale, n’est-ce pas avant tout la connaissance ?

 

Comment vivait cette société ? Paul Veyne explique que la longue colonnade, qui s’ouvre par un arc de triomphe[7], était dans son premier tronçon une voie sacrée menant au temple et dans les tronçons suivants une rue commerçante, bordée de boutiques.

Très peu d’habitations sont visibles dans cet espace. Le style d’hôtel particulier, dit-il, qui se retrouve à Ephèse, à Vaison-la-Romaine ou à Pompéi est ici à l’extérieur, avec d’autres habitations plus modestes.

« Risquons le mot : cette ville araméenne n’était pas une cité syrienne comme les autres ; avec ses réseaux de clans, de clientèles et de lignages, elle ressemblait moins à une cité de l’Empire qu’à des villes marchandes comme La Mecque ou Médine au temps de Mahomet (qui, en ses jeunes années, prit place dans ces caravanes[8]). Comme ces villes arabes, Palmyre ne reposait pas sur un corps civique, mais sur un groupe de tribus et elle était dominée par quelques familles de princes-marchands. Les magnats de Palmyre, fiers d’une autorité qui les rendait capables de toutes les audaces, pouvaient jouer sur leur double culture : sans humilité ni ressentiment, ils étaient de plain-pied avec la culture hellénique, ils connaissaient le vaste monde, ils le mesuraient, mais ils conservaient le pouvoir de lever parmi leurs fidèles une armée privée pour défendre Rome ou au contraire pour l’attaquer. » (p. 49)

Il est permis de se demander si les choses ont réellement changé à notre époque…

 

A côté de Palmyre, Tadmor, la ville moderne. Mais aussi, comme le dit J-P Filiu[9] :

« la pire des geôles des Assad père et fils, le cul-de-basse-fosse où les infiltrations de l’oasis pourrissaient les os des damnés. »

Que restera-t-il, après ces « évènements », de tous ces sites, des musées, des villes et de leurs habitants, combien d’écoles à reconstruire, combien d’enfants déscolarisés et pour combien de temps ? Combien de cimetières ?

J’ai pu visiter Palmyre en avril 2003. Nous étions un groupe de neuf personnes venues de Beyrouth, dont mon épouse et mon fils âgé de 13 ans. Nous avons rencontré sur le site deux couples de courageux enseignants d’un lycée de Rennes venus chacun avec son camping-car. Mais aucun autre touriste ! Les marchands de keffieh, de pièces « authentiques » et de tours à dos de chameau étaient un peu désespérés. Pourtant, G.W. Bush avait affirmé que l’opération militaire américaine était terminée…

C’est donc avec un intérêt certain mais aussi un peu d’émotion que j’ai lu cet ouvrage dont, comme le dit encore J-P. Filiu : « L’érudition est fluide (…), fluide comme une conversation au coin du feu, comme une ballade dans ce désert si proche et si lointain. » Et, comme il le dit encore, on ne peut « en sortir que grandi ».

L’érudition y est partout présente sans être pesante, les photographies du cahier central montrent des aspects de Palmyre telle qu’elle aurait dû continuer à nous émerveiller et viennent donner à voir les descriptions de l’auteur, elles–mêmes entrecoupées par l’irruption du présent, rappelant les exactions commises par Daesh.

C’est dans cette contrée, dans le croissant fertile, que les hommes se sont sédentarisés,  qu’ils ont inventé l’écriture, les chiffres, puis l’écriture alphabétique près des rives de la Méditerranée. Sept mille ans de présence permanente attestée par les fouilles, six mille ans de documents écrits ; quand la fin du conflit interviendra, quels témoignages resteront ? Bien des sites renferment encore à coup sûr des richesses à découvrir, à commencer par celui de Palmyre.

Mais au-delà des « vieilles pierres », Paul Veyne nous montre autre chose : ces pierres nous parlent, nous parlent de nous, du « vivre ensemble » et des libertés.

« Oui, décidément, ne connaitre, ne vouloir connaitre qu’une seule culture, la sienne, c’est se condamner à vivre sous un éteignoir. [10]»

Gérard Malbosc



[1]VEYNE Paul : Palmyre, l’irremplaçable trésor, Albin Michel, 2015.

[2] La plupart des mentions historiques sont empruntées au guide Footprint Gallimard, Syrie-Liban, éd. 2002.

[3]Ce nom est la combinaison du français « la marre » et du nom d’un compagnon du Prophète. L’endroit est célèbre dans la mémoire des musulmans en raison d’actes de cannibalisme perpétrés par des Croisés en 1098. (cf. Amin Maalouf : Les croisades vues par les Arabes, Ed. J’ai lu, 1985, p. 65).

[4]France 24, la 2 décembre, a diffusé un reportage montrant que le musée avait été touché par des tirs d’obus mais que les mosaïques avaient été bien protégées par des sacs de sable. Les « idoloclastres » n’y sont donc pas encore passés.

[5]Fait unique dans l’islam : la mosquée a été construite à l’emplacement d’une basilique chrétienne et le tombeau a été préservé. Auparavant s’élevait à cet endroit un sanctuaire de Jupiter.

[6] Ainsi qu’un certain nombre de personnes quand, au XXèmesiècle, les archéologues sont intervenus ; ils ont dû, comme à Delphes, construire un village à côté, l’actuelle ville de Tadmor, pour pouvoir les reloger et entreprendre les fouilles. Le théâtre était totalement enfoui sous le sable.

[7]Ou qui s’ouvrait ? Daech a en effet affirmé l’avoir fait sauter, mais aucune image n’en est parvenue (à ma connaissance).

[8]C’est même comme cela qu’il a connu sa première femme, Khadija, qui était sa cliente (cf. Antoine SFEIR : L’islam contre l’islam, Grasset, Le livre de poche, 2013, p.28).

[9] Jean-Pierre Filiu : Palmyre comme si elle était restée intacte, Bibliobs, 1er novembre 2015 (sur internet)

[10]VEYNE, Paul, op. cit., p. 141

 

Soumis par   le 30 Décembre 2015