Nouveaux programmes de français : le regard de l'AFEF - Café Pédagogique 4 mai 2015


Questions : Jean-Michel Le Baut, pour le Café Pédagogique - Réponses : Viviane Youx, présidente de l'AFEF

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1-    L’AFEF a émis il y a quelque temps « 16 propositions pour l’enseignement du français » : pourquoi vous semble-t-il nécessaire de repenser en 2015 les fondamentaux de notre discipline ? de remettre dès lors en cause les programmes de français tels qu’ils régissent le français en classe depuis plusieurs années ?

Il n'est pas très original de rappeler les résultats globalement peu encourageants des élèves français aux différentes évaluations de leurs compétences, notamment en français. Les programmes de 2008 à l'école, et au collège surtout, ont contribué à accentuer les difficultés des élèves en situation fragile. Et si les écarts qui se sont creusés entre plus forts et plus faibles correspondent largement à des répartitions sociales et géographiques,  nous ne pouvons nous satisfaire de l'idée que les situations de relégation que connaissent une part de nos élèves sont uniquement un problème social auquel l'école ne pourrait rien. En reprenant à bras le corps cette problématique de lutte contre les inégalités scolaires qui constitue un de ses fondements, l'AFEF rappelle que le français n'est pas seulement une discipline, mais qu'il constitue un maillon central qui contribue à l'ensemble des apprentissages à l'école. D'où la nécessité de repenser l'enseignement du français pour repenser l'enseignement en général, ce qu'essaie de faire notre texte évolutif : Vers un nouveau Manifeste[1] (les "16 propositions pour l’enseignement du français" sont maintenant un peu plus nombreuses) avec ses trois entrées principales : choix didactiques, choix pédagogiques et prise en compte des différents acteurs de l'école. L'élaboration de ce texte s'inscrit dans la durée, nous craignons les effets d'une trop grande précipitation et préférons prendre le temps de la réflexion sur les différentes questions vives de notre discipline.  

 

2-    Le CSP vient de publier son projet de nouveaux programmes, qui touche bien entendu le français : à la lumière de vos propres réflexions et propositions, quelles sont selon vous les évolutions positives, dans la conception des programmes comme dans leur contenu ?

L'architecture générale du collège et des propositions de programmes montre une volonté de rupture avec le fonctionnement actuel du collège et avec la présentation traditionnelle des programmes. L'objectif affirmé de réussite avance l'idée généreuse d'un collège qui se construit autour des apprentissages et du développement des potentialités de tous les élèves. La rédaction des propositions de programmes des cycles 2, 3 et 4 autour d'un cadre commun rompt avec la présentation strictement disciplinaire à laquelle nous étions habitués, sa configuration curriculaire donnant à l'ensemble plus de cohérence et de continuité. Et la synergie entre les programmes et le socle commun est immédiatement établie, nous sortons enfin de deux logiques différentes, voire contradictoires, qui ont fourni des arguments faciles aux détracteurs du socle commun. La partie français affirme clairement que l'enseignement s'organise autour de compétences et de séquences, les connaissances, méthodes et activités sont associées aux compétences des quatre grands domaines : oral, écriture, lecture, étude de la langue. Au cycle 4, les quatre grands thèmes déclinés pour chaque année donnent une grande liberté de choix à l'enseignant autour de questionnements communs.
L'approche moins strictement disciplinaire proposée par ces programmes permet de penser un collège construit autour des élèves, de chaque élève dans son parcours particulier et dans son projet de réussite.

 

3-     Y voyez-vous des choix contestables ou des manques ?

Malgré une volonté de simplicité, les programmes ne permettent pas une lisibilité immédiate. Et surtout, des flous terminologiques, avec des termes qui ne sont pas fixés scientifiquement, rendent difficile la continuité entre les cycles et la compréhension des attendus. Au cycle 3, langage oral, lecture et compréhension de l'écrit, écriture et étude de la langue sont quatre entrées ; au cycle 4 oral, écriture, lecture et étude de la langue deviennent des compétences ; et en langues étrangères et régionales, les entrées (finalités de l'enseignement des langues) sont organisées autour des cinq activités langagières du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (Écouter et comprendre, Lire, Parler en continu, Écrire, Réagir et dialoguer). Pourquoi ne pas utiliser, en français, cette terminologie du CECRL qui a le mérite d'être reconnue pour l'ensemble des langues, en reprenant ces cinq activités langagières et en définissant les niveaux de compétence attendus des élèves en fin de chaque cycle ? Développer une compétence linguistique, c'est mettre l'étude de la langue au service des compétences et activités langagières, c'est développer une attitude métalinguistique plutôt que d'en faire un objet d'étude en soi dénué de sens pour beaucoup d'élèves.
Concernant l'écriture, la composante : "produire des écrits pour penser et apprendre" mériterait d'être plus clairement explicitée au cycle 4, comme elle l'est au cycle 3 avec les "écrits de travail". Et l'écriture semble trop appréhendée comme une activité de production centrée sur le produit fini, alors que c'est en écrivant que l'élève apprend, et c'est sur le processus qu'il est important d'insister parce que c'est lui qui doit être travaillé dans une démarche de conscientisation.
Les "croisements interdisciplinaires" qui terminent chaque entrée du cycle 3 n'apparaissent plus au cycle 4, alors que la dimension des compétences langagières dans les disciplines est fondamentale, comme le montrait l'Université d'automne de l'AFEF en octobre dernier[2]. La conception du français comme langue pour apprendre, penser, comprendre, échanger…, en filigrane dans les projets de programmes, doit être explicitée pour être vraiment prise en compte par les enseignants de toutes les disciplines, afin que cette langue de scolarisation aide tous les élèves à réussir.

Quelques ambitions à ne pas oublier pour terminer ce panorama : prendre en compte la réalité du plurilinguisme, d'une école inclusive au service de la réussite de tous les élèves ; inscrire la francophonie comme une contribution essentielle à l'évolution de la langue et de la littérature ; rédiger les programmes en orthographe rectifiée et inscrire officiellement l'orthographe rectifiée comme la référence pour tous les élèves.

Et une crainte : que le niveau d'exigence à la fin du collège soit assez faible, ou variable selon les contingences locales ou personnelles : les quatre thèmes du cycle 4 vont-ils permettre à tous les élèves d'acquérir les savoirs et développer les compétences qui les aideront à réussir leur vie et leurs études ?

 

4-    Certaines associations disciplinaires perçoivent les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires comme une menace : partagez-vous ce point de vue ?

Nous venons de regretter que les "croisements interdisciplinaires" du cycle 3 disparaissent des programmes du cycle 4, ce n'est pas pour nous sentir menacés par les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires qui, malgré une dénomination nouvelle, ne sont pas vraiment nouveaux, mais plutôt les héritiers d'une tradition de projets interdisciplinaires qui ont fait leurs preuves : travaux croisés puis itinéraires de découverte au collège, travaux personnels encadrés au lycée, projets pluridisciplinaires à caractère professionnel au lycée professionnel. Il s'agit plutôt de reprendre dans ces différents projets ce qui a bien fonctionné, et surtout d'en penser l'accompagnement ; les corps d'inspection ont un important rôle à jouer, et leur capacité à collaborer entre disciplines, à accompagner ensemble, sera un gage de réussite de l'interdisciplinarité. Le français a bien sûr toute sa place, voire une place centrale (comme celle qui avait été décidée lors de la mise en place des PPCP en lycée professionnel), tout n'est pas à recommencer, les enseignants de français ont toujours fait preuve de beaucoup d'inventivité dans la mise en place des projets interdisciplinaires. Et les possibilités offertes par les outils technologiques et les usages du numérique augmentent encore les perspectives. Les EPI ne sont pas une menace, mais nous devons être conscients que leur réussite dépendra de leur accompagnement. Il serait trop facile d'annoncer par avance leur échec en ne donnant pas les moyens de la réussite aux enseignants qui savent faire et fourmillent d'idées pour faire réussir et remotiver les élèves, à condition qu'on les forme et les accompagne. La réussite des EPI et du collège en général mérite que l'on prenne le temps, que l'on fixe des étapes, commencer par le cycle 3 et la 6ème avant d'enclencher le cycle 4, puis monter palier par palier, pour permettre aux élèves de ne pas vivre une révolution permanente, et aux enseignants de se préparer au changement progressivement, et dans une continuité institutionnelle apaisée.

 

5-    Le travail de rénovation des programmes doit-il selon vous se prolonger désormais au lycée ? Si oui, quelles y seraient vos aspirations ?

Le lycée pour l'instant focalise moins l'attention, les difficultés y sont moins apparentes puisqu'une première sélection a eu lieu à la fin du collège et de l'école obligatoire. Mais la rénovation du collège aura immanquablement des répercussions sur le lycée, les élèves ayant appris à travailler "autrement" bousculeront l'organisation classique d'un lycée dirigé vers le baccalauréat. Les travaux personnels encadrés en seront peut-être plus largement réactivés…
En français, nous demandons depuis de nombreuses années que l'enseignement puisse en être continué durant les trois années de lycée ; si le français constitue la discipline centrale de l'école et du collège, peut-on imaginer qu'en arrivant au lycée les élèves aient suffisamment assis leurs compétences et leurs savoirs pour pouvoir se passer de faire du français durant la dernière année de leur scolarité secondaire ?
La compréhension du monde et de soi, les valeurs de citoyenneté, l'esprit critique sont très largement portés par l'enseignement littéraire qui constitue l'essentiel du programme de français au lycée. Sans négliger cet enseignement littéraire, des ouvertures nous paraitraient importantes.
La compréhension du monde d'aujourd'hui passe aussi par d'autres types de textes et de médias : entrainer les élèves à la fréquentation de la presse écrite et numérique, au décryptage critique des écrits et images qui circulent sur internet et sur les réseaux sociaux, à une gestion autonome et responsable de leur identité numérique et des discours qu'ils produisent et diffusent constitue un enjeu important que les enseignants de français doivent avoir le temps d'accompagner.
Et la place de l'écriture dans le cours de français mériterait d'être repensée, notamment celle d'une écriture créative permettant d'entrer dans la compréhension de la littérature en écrivant plutôt que par le commentaire. Avec l'écriture créative, c'est le rôle de la fiction en littérature qui mérite d'être réactivé, la fiction qui permet d'appréhender le monde, les mécanismes sociaux, les différences culturelles, les ressorts humains, grâce à la distanciation que permet la langue. Faire entrer largement l'écriture au lycée, c'est aussi s'appuyer sur les outils numériques et faire réfléchir les élèves aux usages du numérique pour écrire et pour penser. Mais faire écrire les élèves prend du temps, temps qui n'est pas extensible et qui demanderait de repenser plus largement l'organisation du lycée et la place du baccalauréat.

C'est bien là un autre débat qui nous dépasse.

 

Soumis par   le 09 mai 2015