Marlène LEBRUN (dir.), Une Aventure pédagogique et didactique en compagnie du Loup


Note de lecture  de Magali Jeannin - Le Français aujourd’hui n° 207, « Quelle place pour la culture des élèves en classe ? »

Marlène LEBRUN (dir.), Une Aventure pédagogique et didactique en compagnie du Loup. Français et interdisciplinarité, Paris, L’Harmattan, coll. « Savoir et Formation », 2019 (203 p., 21,50 €)

Cet ouvrage, préfacé par Yves Reuter et postfacé par Philippe Meirieu, présente toutes les étapes de réalisation d’un projet pédagogique complet : de sa genèse à sa mise en œuvre, sans oublier l’étude d’impact. Il se situe conjointement dans le champ de la recherche-action, de la pédagogie de projet et de la formation initiale et continue des enseignants. Marlène Lebrun, enseignante-chercheure à la Haute école pédagogique (HEP Béjune, Suisse), a fédéré un groupe d’enseignant.e.s et de formateurs et formatrices du primaire (Michel Boil, Gaëlle Flury, Enrique Lenglet, Justine Rérat-Kaiser, Françoise Villars-Kneubühler), pour élaborer ce qui est à la fois – et c’est son originalité et son intérêt – un compte-rendu d’expérience, la présentation d’une recherche-action et un modus operandi que chaque pédagogue et didacticien peut s’approprier pour son compte. Le collectif présente le travail collaboratif engagé autour d’un projet d’établissement, La Nuit du loup, mené dans une école primaire du Jura suisse, et qui a occupé pendant une année entière quatre-cent-cinquante élèves de 4 à 12 ans, quarante enseignant.e.s, et s’est finalisé sous la forme d’une soirée présentant plus de vingt projets, ouverte aux parents et largement suivie par les médias locaux. L’accent est surtout mis sur le work in progress qui a permis la réussite du projet : la dynamique d’engagement et de mobilisation d’un groupe d’enseignants, de formateurs et de chercheurs, autour d’un séminaire de recherche d’abord, puis d’une équipe enseignante, enfin d’un établissement scolaire tout entier – élèves compris – dans le respect des rythmes et des degrés d’implication de chacun.

Cette synergie de tous les acteurs ouvre sur un total décloisonnement des classes et des disciplines, avec pour maitres-mots : coopération et collaboration, au service du développement des compétences et des apprentissages des élèves, dans et par la pédagogie active chère à Philippe Perrenoud. L’approche est résolument pratique, sans aucune intention modélisante, ce qui en fait toute la reproductibilité, quel que soit le contexte : le projet s’est construit et fédéré non en fonctionnement bureaucratique, mais en bricolage, là encore cher à P. Perrenoud, qui en fait le modèle du travail de l’enseignant, à la suite de C. Lévi-Strauss qui, dans La Pensée sauvage, oppose le bricoleur à l’ingénieur :

Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’entre elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les "moyens du bord", c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec le résidus de constructions et de destructions antérieures [...]. (1962 : 27)

Cet ouvrage est ainsi destiné à tous les chercheurs, enseignants, étudiants, formateurs... bricoleurs et ne dédaignant pas de changer de casquette. Néanmoins le bricoleur, s’il sait s’adapter, ne perd pas de vue son cadre ni ses fondamentaux : La Nuit du loup est ainsi un projet très solidement étayé, et ancré tant dans les prescriptions institutionnelles que dans les avancées de la recherche ; les enjeux de (dé)construction des stéréotypes littéraires et leur articulation avec la construction du sujet lecteur, l’appropriation des schèmes culturels par les élèves dans un processus d’interculturation, sont également précisément explorés.

La première partie pose les fondamentaux. Le premier chapitre est ainsi tout entier consacré à l’analyse des textes officiels cadrant les projets d’établissement et leurs enjeux didactiques et pédagogiques ; le suivant ouvre alors sur la genèse de La Nuit du loup et sur la dynamique d’implication des acteurs. La seconde partie est consacrée à des exemples variés – et très précisément explicités – de projets collaboratifs interdisciplinaires mis en œuvre dans les classes, selon le cadre précédemment posé. Les derniers chapitres apportent, quant à eux, une dimension réflexive, tant du point de vue des apprentissages et des savoirs mobilisés que des enjeux interculturels : compte-rendu d’une recherche menée en aval par des étudiants, via des questionnaires autour de la construction du personnage « loup » chez les élèves, et permettant de mesurer l’impact du projet un an après ; focus sur les tribulations du loup dans le Petit Chaperon rouge ici et ailleurs, des origines à nos jours, pointant l’actualité d’un personnage qui permet aussi bien de penser l’angoisse de dévoration, le passage à l’âge adulte, que la question de l’égalité des sexes.

Parce qu’il répond à des questions vives, le projet de La Nuit du loup est donc également articulé à des enjeux sociétaux forts, et rappelle par conséquent la nécessité de dé-sanctuariser l’école : l’ouvrir aux médias, aux parents, est aussi reconnaitre son ancrage dans la cité et son rôle dans la formation de futurs citoyens qui auront reçu une éducation à la collaboration et à la coopération.

Cette « aventure didactique et pédagogique », résolument optimiste, est donc à la fois unique et universelle : elle intéressera tout didacticien et pédagogue bricoleur, puisqu’elle ne livre pas de recette, plutôt les ingrédients nécessaires à la réussite d’un projet de ce type. In fine c’est une belle invitation à s’approprier la démarche et à la transposer à la spécificité de chaque contexte d’enseignement-apprentissage et/ou de formation.

Magali JEANNIN

Soumis par   le 13 Janvier 2020