L'orthographe, un jardin à élaguer, les linguistes prennent position dans le Monde


Le Monde, 1er octobre 2009

L'orthographe, un jardin à élaguer

 

Le récent ouvrage de François de Closets (Zéro faute, éditions Mille et Une Nuits, 318 p., 20,90 euros) rouvre le débat sur l'orthographe et nous souhaitons souligner quatre points. Tout d'abord, le problème est important. En effet, notre orthographe, l'une des plus difficiles du monde, ne peut être acquise qu'au prix de longs efforts couteux en temps et en argent. Elle pénalise les plus défavorisés et renforce la barrière sociale. Elle accroit le mal-être des dyslexiques. Elle nuit à la francophonie : quitte à apprendre une orthographe difficile, autant passer à l'anglais qui ouvre un marché linguistique autrement plus vaste.

Contrairement aux idées reçues, la complexité de l'orthographe ne relève pas de la fatalité. Dans le cas du français, elle apparait assez tardivement avec la fondation de l'Académie française par Richelieu. Jusque là il existait une grande variété d'usages sans préséance. Avec l'Académie, on assiste à la promotion d'un usage unique mais, par la suite, les Immortels ont constamment remanié leur propre norme, presque toujours dans le sens d'une régularisation : chaque édition de leur Dictionnaire - neuf au total - définit un nouvel état orthographique. Notre orthographe est donc une orthographe réformée et chaque usager est, qu'il le veuille ou non, un réformiste qui s'ignore.

Il reste que, malgré les corrections déjà effectuées, la convention orthographique actuellement en vigueur continue à poser bien des problèmes à bien des gens car le travail de régularisation n'est pas achevé.

Peut-être l'effondrement de la maitrise orthographique pourrait-il être ralenti par un accroissement massif de l'enseignement consacré à l'orthographe, mais où trouver les heures et le financement ? Se pose alors la question de nouvelles régularisations dans la continuité des précédentes. Certes, on peut juger qu'il est devenu inutile de réformer parce qu'il suffit de s'en remettre aux correcteurs orthographiques des ordinateurs, qui deviendront de plus en plus performants.

C'est exact s'agissant de l'orthographe de mots, mais cela est beaucoup moins vrai de l'orthographe grammaticale : l'accord du participe passé avec avoir reste éminemment réformable. D'autre part, cette option impose, surtout, que l'école enseigne à tous les élèves à se servir intelligemment de ces correcteurs de sorte que chacun conserve la pleine maitrise de ses textes. Ce recours aux correcteurs orthographiques implique aussi que tous les élèves francophones - y compris en Afrique et en Haïti - soient équipés gratuitement d'un matériel adéquat. Ce sont là de sérieuses gageüres.

Enfin, rien n'interdit de rêver mais, sans négliger les outils modernes, nous pensons qu'on peut tenir deux fers au feu et que l'Académie française doit poursuivre sa mission de régularisation. Les plus grands écrivains, comme Ronsard, Corneille, Racine ou Voltaire ont toujours activement combattu pour la rationalisation de l'orthographe.

L'Académie a réformé pour le plus grand bien de tous et, dans le même esprit, c'est-à-dire de façon modérée et progressive, elle doit cultiver cette tradition. Représentant par excellence les écrivains, elle pourrait le faire en liaison avec les enseignants et les linguistes, sans oublier les éditeurs, qui peuvent reprendre le flambeau de Tory, de Pelletier du Mans ou de Firmin-Didot. La presse aussi, dont Le Monde, doit jouer son rôle.

Les Recommandations de l'Académie française de 1990 sont maintenant largement adoptées par tous les dictionnaires et correcteurs informatiques et sont recommandées par le ministère de l'éducation nationale. L'orthographe n'est pas une vache sacrée à jamais intouchable mais un jardin que l'on doit entretenir avec respect en élaguant ce qu'il faut : l'orthographe est faite pour l'homme et non l'homme pour l'orthographe.

NB : ce texte est orthographié selon les Recommandations du Conseil supérieur de la langue française de 1990 approuvées par l'Académie française.

Bernard Cerquiglini, recteur de l'Agence universitaire de la francophonie

Jean-Claude Chevalier, professeur émérite (Paris-VII) ;

Pierre Encrevé, directeur d'études à l'EHESS ;

André Goosse, président du Conseil international de la langue française ;

Renée Honvault, linguiste ;

Jean-Pierre Jaffré,

Jean-Marie Klinkenberg, président du Conseil de la langue française ;

Gilbert Lazard, de l'Institut ;

Michel Masson, professeur émérite (Paris-III

Bernard Quemada, directeur de recherches au CNRS ;

Henriette Walter, professeur à l'université de Haute-Bretagne ;

Viviane Youx, présidente de l'Association française des enseignants de français

Soumis par   le 01 Octobre 2009