Lire, écrire, chanter - Guide pédagogique - Françoise Nicaise


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Lire, écrire, chanter - Guide pédagogique - Françoise Nicaise 
Nicole Adam, Soline Bricout, Camille Thill, Mahaut Renaud
(Contributrices)

Je deviens lectrice, je deviens lecteur. Françoise Nicaise,

Editions Chronique Sociale, 2021

 

Note de lecture de Maryse Rebière

 

L’ouvrage, composé d’un manuel de lecture et d’un guide pédagogique se présente comme une méthode articulant l’entrée dans l’écrit avec le chant. Cette articulation est originale, même si elle rappelle aux plus anciens la méthode du Sablier (années 70) qui s’appuyait sur des comptines. Elle repose sur un postulat très en vogue à la fin du siècle dernier : la maitrise du corps et des cinq sens joue un rôle clé dans les apprentissages premiers.  Certaines habiletés seraient donc requises pour apprendre à lire et à écrire. Les enseignants d’école maternelle en tiennent généralement compte dans leurs pratiques, l’école dans son ensemble accordant peu ou prou, au gré des textes officiels, une place au développement des compétences « pré requises ». Si la relation causale n’a jamais été démontrée, il semble cependant évident que le développement global de l’enfant est souhaitable quelles que soient les acquisitions visées. 

La méthode proposée s’inscrit donc dans ce cadre et convoque deux démarches gestuelles déjà anciennes, d’une part les pédagogies actives pour l’apprentissage de la musique, dont la pédagogie Kodaly (début du XXème siècle) et d’autre part la phonomimie (fin du XIXème siècle) pour plus spécifiquement, l’apprentissage de la lecture. Dans les deux cas il s’agit d’associer un son à un signe, puis au nom d’une note pour les unes, à un graphème pour l’autre. 

L’association s’avère aléatoire. En effet, les apprentissages musicaux reposent sur l’encodage oral (du son chanté vers le nom de la note) d’une mélodie connue pour, ultérieurement si besoin, transcrire ce langage musical en signes abstraits, de l’oral donc vers l’écrit. Le déchiffrage en lecture consiste à décoder des lettres pour produire du langage. Outre qu’articuler un son et le transformer en nom de note ne relève pas de la même action cognitive que repérer une lettre et la sonoriser, le processus n’a n’a pas les mêmes visées. La comparaison serait donc plus crédible sous l’angle de l’encodage, ce qui n’est pas le cas, la musique n’étant mise à contribution que pour accompagner l’acte graphique et non la production d’écrit signifiant. Le déchiffrage est donc assuré, classiquement par la phonomimie, démarche phonographique qui cible, originellement, l’articulation des phonèmes d’une langue donnée, en représentant chacun par un signe de la main, ce qui explique sa diffusion dans les classes pour élèves présentant des difficultés d’audition. Pour ces derniers, il s’est avéré que la « sur-symbolisation » qui consiste à symboliser par un geste une lettre qui elle-même symbolise un son, pouvait faire obstacle au franchissement du « mur du son », conquête fondamentale de la lecture qui consiste à attribuer des significations à des signes abstraits. Une fois les différents sons identifiés et mémorisés, ils sont associés aux graphies correspondantes.  Il s’agit donc d’une démarche essentiellement phonographique. 

Le postulat de départ de la méthode, l’association de l’entrée dans l’écrit avec le chant, semble artificiel et peu convaincant. Il s’agit surtout de susciter l’intérêt des élèves en les faisant bouger, chanter, jouer… actions dont tout pédagogue connait la nécessité et l’intérêt. Donc, pourquoi pas ? La difficulté principale réside, quel que soit l’habillage, dans une conception de la lecture à laquelle les enseignants de français de notre association ne peuvent adhérer. D’une part la réduction de la lecture au seul décodage, qu’il soit graphophonétique ou phonographique met l’habileté technique au cœur de l’activité, alors que pour nous elle n’est qu’un outil au service de la construction des significations, et ne saurait en être détachée : « on déchiffre, on comprendra après » conduit une part non négligeable des élèves à « lire sans comprendre », auquel cas ils ne « lisent » pas, ils déchiffrent. Cette démarche a pu ainsi être mise en œuvre avec des élèves présentant des difficultés cognitives, pour lesquels n’était pas privilégiée la construction des significations. D’autre part, il nous semble (ainsi qu’à de nombreux praticiens) que le « surcodage », qui consiste à coder par un geste de la main la lettre qui code un son, ajoute de la complexité à l’opération de symbolisation qui fonde la relation oral-écrit. 

En conclusion, cette méthode permet certainement aux enfants de déchiffrer, de graphier et de chanter dans la joie, (et c’est déjà beaucoup !) comme l’affirme l’introduction du guide pédagogique, en revanche il ne leur permet pas spécifiquement de devenir lecteurs et lectrices, pas plus que toutes les méthodes « à la mode actuellement », qui s’alignent sur les recommandations ministérielles.

 

Soumis par   le 27 Septembre 2021