Le professeur de lycée professionnel dans le système scolaire : Un brouillage progressif des différences, de Viviane YOUX


Après une intervention auprès de l'association des PLP Lettres-Histoire de l'Académie de Versailles lors des "Rendez-vous d'Interlignes", 10 avril 2013

 

Le professeur de lycée professionnel dans le système scolaire :

Un brouillage progressif des différences

Viviane YOUX

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L'association des professeurs de lycée professionnel Lettres-Histoire de l'Académie de Versailles, pour sa 2ème rencontre annuelle des Rendez-vous d'Interlignes, le mercredi 10 avril 2013, m'avait demandé d'intervenir autour du thème général : "Enseigner aujourd’hui : un nouveau métier ?"

"Enseigner hier et aujourd’hui : qu’est ce qui a changé, qu’est ce qui perdure ? Le contexte (élèves, programmes, cursus, dispositifs), les outils pédagogiques, les méthodes ? Qu’en est-il des PLP lettres-histoire-géographie ?"

Plutôt que d'essayer de retracer le quotidien des professeurs de lycée professionnel d'aujourd'hui, réalité que vivent les participants à cette rencontre, j'ai préféré élargir ma réflexion à la place que tiennent les PLP dans le système scolaire. Et il m'a semblé que cette réflexion avait toute sa place dans les colonnes de l'AFEF qui, depuis quelques années, hélas, a pris moins de temps pour suivre l'actualité des lycées professionnels.

Après avoir retracé l'histoire, depuis une cinquantaine d’années, de l'enseignement technique puis professionnel, nous verrons quels changements dans le recrutement des enseignants et la formation des élèves ont modifié profondément le système, qui s'est progressivement scolarisé. Puis nous verrons comment un nouveau corps d'enseignants, doté d'un statut spécifique, est né, bouleversant les repères traditionnels de la formation dans les domaines techniques, mais aussi en enseignement général. Et nous terminerons en essayant de comprendre pourquoi un univers profondément marqué par l’émergence de démarches pédagogiques innovantes a connu peu à peu un alignement sur le système secondaire général.

 

 

1.    Du centre d’apprentissage au lycée professionnel : histoire d’une scolarisation progressive

1.1.Du CA au LP[1] : Comment est-on passé en cinquante ans d’une école pour les ouvriers à une niche dans le système général ?  Quel rôle a joué l'allongement des formations dans le processus de secondarisation ?

·      À la Libération, juste après la seconde guerre mondiale, les Centres d’apprentissage (désormais CA) sont créés pour former les futurs ouvriers (alors que les futurs techniciens intégraient les collèges techniques). Les Centres d’apprentissage deviennent donc la voie professionnalisante pour les enfants d’ouvriers, véhiculant une culture ouvrière porteuse d’une idéologie qui perdure : "l'enseignement professionnel c'est l'école du concret, de la vraie vie", ce côté pragmatique s'opposant à un enseignement général abstrait, trop proche de l’école que rejettent les apprentis. Il faut rappeler qu'à l'époque la limite de la scolarité obligatoire est 14 ans, aller à l'école au-delà correspond à un choix familial ou personnel ; les meilleurs élèves issus du milieu ouvrier vont dans les collèges techniques, voire plus, l'école joue son rôle d'ascension sociale, mais tous les enfants d'ouvriers ou de paysans n'entrent pas dans cette logique.

·      En 1959[2], premier bouleversement, la réforme Berthoin rend la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, imposant de créer des structures pour scolariser toute une classe d'âge qui n'était jusque-là que partiellement scolarisée ; pour remplir cette mission, les collèges sont créés, scindant l'ancien lycée en deux parties (désormais collège d'enseignement secondaire ou général puis lycée) ; pour jouer son rôle dans cette configuration, l'enseignement technique est refondu, le CA devient Collège d'enseignement technique, CET, alors que l'ancien collège technique devient Lycée technique. Désormais  le terme collège entre dans l'enseignement technique, assimilant le CET au premier cycle du  secondaire, alors que le terme technique désigne les spécificités des métiers. En 1967, un nouveau diplôme est créé : le brevet d'études professionnelles (BEP), sur le modèle du brevet d'études secondaires. En 1971 on ouvre les Centres de formation des apprentis (CFA), organismes privés, sous convention avec la Région ou l’État : l’apprentissage passe dans le domaine privé, il quitte le système scolaire à proprement parler.

·      En 1975, deuxième bouleversement, avec la Réforme HABY qui crée le collège unique, la distinction CEG/CES disparait sous la dénomination générale de collèges qui doivent scolariser tous les élèves, supprimant la filière courte (6ème-5ème suivies d'un cycle terminal pratique). Les CET deviennent des lycées d'enseignement professionnel (LEP) avec deux différences notables dans leur dénomination : le technique laisse la place au professionnel, on passe de l’art du métier, du savoir-faire, à la profession qui implique une prise de conscience, il s'agit aussi de savoir parler sur son métier ; et la qualification de collège laisse la place à celle de lycée, le faisant entrer dans le 2ème cycle du secondaire, avec une bizarrerie cependant puisque ce lycée a besoin d’une extension : "d’enseignement professionnel" ; c’est un lycée, mais où on fait autre chose qu’au lycée général. Et surtout, bizarrerie encore plus grande, il est à cheval sur la fin du collège et le début du lycée, puisqu'il peut scolariser les élèves, soit à la fin de la 3ème comme le lycée général dans des formations en deux ans (BEP), soit à la fin de la 5ème, d’abord dans des CAP en trois ans, puis dans des 4ème et 3ème professionnelles. Là encore, le système est calqué sur celui du collège, mais avec un appendice qualifiant.

·      En 1985, afin de répondre à l'objectif général d'élévation du niveau de diplômes ("80 % d'une classe d'âge au niveau bac") sont créés les baccalauréats professionnels[3] : à l'issue de deux ans de BEP (qui devient de moins en moins professionnel, et de plus en plus passerelle), les élèves intègrent les classes de Bac Pro en deux ans, soit une scolarité totale de quatre ans dans des LEP qui deviennent lycées professionnels (LP) en 1986 sous l'effet de la Régionalisation (la tutelle des régions sur les lycées, impose un système unique).

·      En 1986, avec les 4ème et 3ème technologiques (qui ne suppriment pas les 4ème et 3ème professionnelles) le début du LP s’aligne sur le collège, ces nouvelles classes de 4ème et 3ème technologiques pouvant être ouvertes dans les collèges ou dans les LP (avec quelques différences, mais le fond est le même). La volonté d'élever le niveau général de la population implique une formation jusqu’en fin de 3ème, générale ou technologique, suivie d'un second cycle qui conduira au baccalauréat, général/technologique en 3 ans, ou professionnel en 4 ans.  

·      En 2009, cette dernière différence disparait avec le Bac Pro en 3 ans : la durée du cursus est alignée sur celle du lycée général. Le bac pro devenant la norme, alors la diversité des diplômes et cursus de l'enseignement professionnel est moins nette, le BEP est devenu plus un diplôme transitoire pour les décrocheurs qu’une passerelle, etle CAP prend majoritairement une place d'intégration pour les plus fragiles[4] (avec des réalités différentes selon les métiers).

 

1.2.Quelques constats et questions à partir de cet historique

·      La formation s’est scolarisée et secondarisée, intégrant peu à peu le système général, dans le but d’uniformiser les cursus ; mais ce système, derrière de bonnes intentions affirmées, s’est révélé peu à peu ségrégant, comme s’il créait en son sein une catégorie à la fois pareille et différente, la même mais un peu inférieure… Les dénominations sont identiques : collège, puis lycée, 4ème et 3ème, bac, mais avec un qualificatif (technique, professionnel, technologique) qui spécifie la voie professionnelle.

·      Les diplômes spécifiques ont disparu progressivement ou ont été fortement modifiés : le brevet professionnel ; le CAP[5] en trois ans, transformé en CAP en deux ans, voire un an, subsiste, mais avec des réalités différentes selon les métiers (qualifiant quand un véritable métier est identifié, disqualifiant dans le cas inverse) ; le BEP, qui permettait de faire un cursus de bac en 4 ans, a perdu sa fonction de rescolarisation d’élèves en mal avec l’école.Le LP, en se calquant sur le lycée général, a voulu élever le niveau, mais quelle place pour les élèves en échec au collège ? Et quelle place pour la culture professionnelle ?

·      Qu'est devenue l’alternance dans cette mutation ? D’abord en dehors du système scolaire (CA puis CFA), elle est peu à peu entrée dans les LP, avec deux systèmes parallèles, deux types de statut de l’alternance ; au LP, sous statut scolaire, elle s’est imposée à partir de la mise en place des bacs pro, mais de manière différente, et probablement moins dans la culture du métier, le "stage" étant renommé "période de formation en entreprise". C'est un sujet délicat, à la fois l’alternance fonctionne, et dysfonctionne dans la difficulté à trouver des entreprises, le stage apparaissant plus comme une nécessité scolaire que comme la base de la formation à des métiers dont la lisibilité se brouille.

·      Les orientations des élèves se sont déspécialisées : peu à peu l'orientation vers la voie professionnelle ne s'est plus faite par choix d’un métier. Crise, opacification de métiers de moins en moins visibles, disparition d’une culture ouvrière avec la fierté du travail : les métiers n’attirent plus, les élèves "sont orientés" vers des domaines qu’ils ne se représentent pas et qui, dans bien des cas,ont plus valeur pour eux de relégation, d’échec, que de choix ; ils ont bien conscience d’être dans une voie différente, mais cette différence est rarement vécue de manière positive comme c’était le cas pour des jeunes qui avaient choisi cette voie par amour d’un métier (qui subsiste dans certaines branches). Orientés vers le professionnel parce que mal à l'aise au collège, ils se trouvent face à un enseignement professionnel qui ne leur parle pas, de plus en plus abstrait, et un enseignement général avec un niveau d’exigence qui se calque sur celui qu’ils croyaient avoir quitté…

 

 

2.    Genèse du corps de PLP et mutation d'un outil de travail
2.1 Origines sociales et entrée dans le métier : de l’après-guerre à la création du bac pro

·      Dans l’après-guerre, la formation dans les Centres d'apprentissage est essentiellement professionnelle, sur le modèle de l’apprenti et du  "patron",  les enseignants du domaine professionnel sont d’anciens ouvriers qui partagent la même culture, les mêmes référents que les jeunes qu'ils forment. La faible part d'enseignement général est calquée sur le modèle du primaire, du certificat d’études, et les enseignants sont, comme les instituteurs, aussi issus du milieu ouvrier ou paysan. Pour enseigner, il suffit d'une qualification professionnelle, BP ou CAP pour les matières professionnelles, ou d'un bac pour les matières générales, jusque dans les années soixante. À l'instar des PEGC, anciens instituteurs reclassés, d'anciens ouvriers pour le domaine professionnel, des PEGC ou des étudiants pour le domaine général, deviennent professeurs de CET.

·      Les années soixante-dix représentent la première rupture forte dans l’univers de l’enseignement technique. Dans le cadre du collège unique, la création des LEP (qui scolarisent officiellement après le collège, même s'ils sont à cheval sur les deux cycles) impose d’élever le niveau des enseignants pour faire classe à des élèves sortant de 3ème. Le référent de l’apprentissage (apprenti/patron) est détourné vers le secteur privé, et le LEP, en dispensant un "enseignement" professionnel, moins centré sur les métiers, entre dans le système global d'enseignement. L’allongement de la scolarité, avec son afflux de nouveaux élèves, demande de recruter beaucoup d’enseignants rapidement, non seulement dans les domaines techniques, mais aussi dans les domaines généraux, où se maintiennent des spécificités par rapport au secondaire classique, notamment la plurivalence par pôles (ex. français, histoire-géographie, instruction civique, législation…). L'enseignement professionnel se constitue peu à peu comme univers spécifique, et offre aux enfants de paysans et d'ouvriers, entrés depuis les années soixante dans les études secondaires puis supérieures, un cadre où ces jeunes diplômés se retrouvent mieux et se sentent moins en difficulté que dans l’univers social du lycée général. S'ajoute à cela l'idéologie post-soixante-huit qui valorise la culture ouvrière, c'est l'époque des intellectuels qui vont travailler en usine, de la même manière une partie des enseignants considère comme valorisante une expérience en LEP. Cette période des années soixante-dix constitue donc à la fois un moment fondateur de l’univers du lycée professionnel : s'il est perçu par ses acteurs comme différent du système secondaire, il constitue une sorte de tremplin vers une uniformisation des établissements. Être professeur en LEP était souvent une première étape vers le système général d’enseignement, on passait par le LEP, on n'y restait pas forcément, et il est révélateur de voir combien de chercheurs et  de didacticiens notent dans leur parcours une première expérience en LEP, qu'ils ont abandonné depuis bien longtemps…

 

2.2.     Deuxième période : constitution d'un corps de PLP

·      La création du bac pro impose un bouleversement, pour pouvoir justifier d'une formation des élèves au niveau du bac, leurs enseignants devront répondre d'une qualification égale à celle de leurs collègues du secondaire général.  Émergent alors deux corps d’enseignants dans ce qui devient à la même période le LP (et non plus LEP) : le corps des anciens enseignants de LEP, en général moins qualifiés en enseignement professionnel que général, recrutés à un niveau bac + 2, rebaptisés PLP1, et qui continuent à enseigner sur la base d'un service de 21 heures ; et le corps des PLP2, habilités à enseigner en bac pro, avec un niveau licence, un concours largement calqué sur le CAPES (mais avec la bivalence en plus !), et un service aligné sur 18 heures. Ces modifications entrainent une élévation du niveau des enseignants en place, en se formant et en passant les concours internes, ils connaissent une amélioration de leur niveau de rémunération et de leur notoriété ; se rapprochant des niveaux de qualification du secondaire, ils se sentent valorisés et se "normalisent".

·       Mais on assiste aussi à une arrivée, par les concours externes, de nouveaux enseignants plus qualifiés, qui ont tenté ce nouveau concours après avoir échoué au CAPES et/ou à l’Agrégation, et qui vont voir dans leur affectation plus un déclassement[6] par rapport à leurs ambitions  qu’une ascension sociale comme la vivent leurs collègues des concours internes. Puis, progressivement le concours externe devient plus important que l’interne (tous les anciens ayant été intégrés) ; le corps des PLP1 disparait, le niveau de recrutement augmente, rendant plus difficile l’accès des anciens ouvriers et techniciens aux concours d'enseignement technique ; et dans les enseignements généraux, les professeurs sont très proches de ceux du secondaire, par leur origine sociale de classe moyenne, par leur niveau d’études, par le type de concours, par la formation (la formation des PLP ayant été peu prise en compte dans les IUFM, ils sont souvent dans les mêmes sections que les profs du secondaire, alors que jusqu'en 1991, leur voie spécifique de formation dans les ENNA, Ecoles Normales Nationales d'Apprentissage, avait largement contribué à la diffusion de la recherche pédagogique dans les classes. À une différence près : la bivalence, qui interroge aujourd’hui quand on voit l’évolution du LP. Qu’est-ce qui la justifie aujourd’hui ? Quel rôle veut-on lui faire jouer ?…

 

 

3.    Des démarches pédagogiques innovantes : répondre aux spécificités et contourner les difficultés

3.1.Des résistances à l’univers scolaire qui émergent très tôt

·      Depuis le début de la constitution du "technique", la question de la résistance du public a toujours été posée, surtout dans l’enseignement général, et encore plus dans l’enseignement "littéraire" selon la séparation populaire longtemps prégnante ; dans cette scission littéraires/scientifiques, les profs de math s’en sortaient mieux dans le milieu industriel qui a fondé le CET, car les maths appliquées et la physique sont plus directement investies dans l’enseignement professionnel, le français & alii étant supposés ne servir à rien. Le français enseigné n’est pas calqué, dans la première période jusqu’aux années 70, sur le secondaire : organisé par thèmes, il fait passer les élèves de la rédaction (associée au collège) à la composition française, avec l'idée d'un  appel à la réflexion et au jugement et la prégnance du mythe de l’opinion personnelle chez les élèves. Ce modèle de composition française[7] évolue avec la création du BEP, qui le rapproche, par les questions posées, du secondaire (influence du résumé/contraction de texte et de la discussion du bac des années 70). Mais cette secondarisation progressive, qui accompagne l'augmentation du nombre d’élèves en professionnel, et une orientation due à l’échec dans le système général, voit émerger dans les LEP des résistances très fortes d'élèves qui demandent du concret, du pratique. Les enseignants n'ont pas le choix, ils doivent repenser leurs pratiques, adapter leur pédagogie au public, faisant du LEP un creuset d’innovation ; des démarches différentes sont expérimentées : suppression du cours magistral au profit de l’étude de documents, travail de groupes, décloisonnement des activités traditionnelles du cours de français jusqu’à la fin des années soixante-dix (grammaire, orthographe, lecture expliquée, lecture suivie).

 

3.2.Un détour par l’univers de l'entreprise

·      Pour faire face aux résistances des élèves, la pédagogie va aussi chercher des aides par proximité, le technique côtoyant régulièrement l’univers de l’entreprise et deux axes principaux, la rationalisation et la prospective, vont se succéder. D'abord, la rationalisation du travail par la planification définit des objectifs à atteindre, l'action est parcellisée en une multitude de tâches,  c'est la période de la pédagogie par objectifs, grande mode vite décriée, mais qui laissera des traces non négligeables, notamment avec l'idée que l'enseignement peut s'organiser, se programmer pour mieux atteindre son but. Ensuite, la prospective, issue de cette première étape, fait sortir d’un découpage trop réducteur pour amener à plutôt synthétiser : la démarche va consister à définir un projet, déterminer les compétences nécessaires pour le réaliser, organiser ces compétences en référentiels qui renvoient aux besoins de la « vraie vie », sous-entendu celle de l’entreprise. C'est la période de la pédagogie de projet, de la pédagogie par compétences, et du projet personnel de l’élève comme alternative à l’orientation négative. Capacités et compétences font leur entrée dans les programmes d’enseignement général en LP. Et l'on assistera à  l'institutionnalisation de la pédagogie de projet dans les PPCP (projets pluridisciplinaires à caractère professionnel).

·      Ces modèles portent leurs fruits dans un premier temps : les élèves, qui aspirent toujours au "concret" le trouvent dans les projets qu’ils mettent en place collectivement, ils apprennent autrement, d’une manière "moins scolaire" ; le modèle de l’école devient plus proche de celui de l’entreprise, et vice-versa l’entreprise affirme que l’abstraction est importante, que pour réussir professionnellement, il faut une bonne orthographe et une bonne culture générale ; en même temps leurs diplômes sont revalorisés, ils participent du pourcentage de jeunes Français qui ont le bac. L’embellie produite se répercute sur la perception du LP, qui devient un peu moins négative à mesure que l’image du collège se dégrade. Néanmoins, la résistance des élèves au système n’en disparait pas pour autant, et le LP continue à être vécu comme difficile par nombre d’enseignants qui le désertent dès qu'ils peuvent. À mesure que le lycée professionnel s'est inspiré de l'entreprise, la représentation des métiers s'est brouillée, aujourd'hui la plus grosse part de l'enseignement professionnel est occupée par le tertiaire et non par des métiers artisanaux clairement identifiables, mais il est vrai aussi que l’évolution, dans l'économie actuelle,  des secteurs d’activités et des métiers eux-mêmes imposent à l’enseignement professionnel de s’adapter à cette évolution.

 

3.3.Alignement progressif d’un système particulier dans un système général

·      Pourtant, à y regarder de plus près, les modèles de l'innovation prégnants aujourd'hui dans le système général ont, pour beaucoup, été initiés dans l'enseignement professionnel qui les a diffusés à son insu, en même temps qu'une image en partie revalorisée. À tel point que, gagné par les mêmes résistances des élèves, le collège, puis le lycée se sont mis à lorgner du côté du LP pour trouver des démarches pédagogiques pertinentes : le projet personnel de l’élève a gagné le collège, la pédagogie de projet, institutionnalisée dans les PPCP, a été réinvestie dans différents dispositifs, travaux croisés puis IDD au collège, TPE au lycée, et le socle commun de l’école au collège repose sur des compétences. En français le décloisonnement a gagné tous les cycles, et, hormis la présentation des programmes assez différente, le type d’exercices proposé n’est pas très éloigné. Sauf deux, novateurs au LP, l’écriture longue en CAP et l’atelier rédactionnel en Bac Pro gestion-administration. Ce qui interroge sur les raisons qui cantonnent les meilleures innovations au LP.

 

 

En guise de conclusion, quelques points en débat.

Le gommage progressif des différences entre lycée professionnel, collège, lycée a toutes les raisons d’interpeler les PLP. Comme j'ai tenté de le montrer, les systèmes n’ont pas cessé de se rapprocher au fil des décennies, ou plutôt, le lycée professionnel a peu à peu été assimilé dans un système scolaire global, tiré d'abord du côté du collège, puis du lycée dans lequel il est censé être intégré. Les contenus d'enseignement en français se sont rapprochés, les démarches pédagogiques ne connaissent plus de distinction, les professeurs ont des statuts équivalents.

Mais  alors, pourquoi certaines différences subsistent-elles, et pas des moindres : la différence de corps imperméables (si le CAPES permet d'enseigner indifféremment au collège ou au lycée, le CAPLP confine au LP) et la bivalence qui n'a jamais été vraiment pensée comme une complémentarité de deux formations équivalentes, mais reste une monovalence d'une discipline de formation à partir de laquelle l'enseignant fait comme il peut avec une autre discipline obligatoire ?

Le LP s'est uniformisé, secondarisé, mais n'est-ce pas au détriment de ce qui aurait pu faire sa qualité, une circulation dans l'univers des métiers, une approche plus concrète pour des jeunes qui, par ce biais, trouvaient une entrée dans l'abstraction et des ouvertures culturelles ? Alors que la "classe ouvrière" a été remplacée dans les discours par les "milieux populaires", faut-il s'étonner que les jeunes se dirigent vers le lycée professionnel plus par dépit que par choix d'un métier qu'ils n'imaginent même pas ?  Certes il serait désuet d'étudier encore Élise ou la vraie vie[8] aujourd'hui, mais la réflexion de quelques romanciers contemporains, à l'instar de Jeanne Benameur dans Les Insurrections singulières[9], ou deDelphine de Vigan dans Les Heures souterraines[10], permet de redonner à la culture ouvrière ses lettres de noblesse et d'interroger les représentations collectives concernant les différents univers professionnels.

Pour finir, comment faut-il interpréter le fait que des innovations très importantes (voire les plus importantes) en didactique de l'écriture de ces dernières années (écriture longue et réécriture, atelier rédactionnel) ne sont ni connues, ni donc reconnues, comme si elles devaient rester confinées au lycée professionnel ? On peut en voir l'explication dans le discrédit qui continue à peser, dans l'ensemble de la société, sur le LP. Ou dans une conception majoritairement figée de l'écriture au secondaire qui rend impensable toute créativité et toute innovation vraiment sérieuse dans ce domaine.

 

 



[1]Jacques MERLE ,1994 http://www.politique-autrement.org/spip.php?article71(consulté le 01-04-2013)

[5]"Le CAP : regards croisés sur un diplôme centenaire", Revue française de pédagogie, ENS Lyon éditions, n° 180/2012

[6]Aziz JELLAB, « Une orientation professionnelle par défaut », SPIRALE - Revue de Recherches en Éducation - 2008 N° 41 (p. 43-56)

[7]"L'écriture dans l'enseignement professionnel", Maryse LOPEZ, intervention rencontre-débat de l'AFEF "Écrire, l'enseigner, et l'apprendre ?", 19 janvier 2013

[8]Élise ou la vraie vie, Claire Etcherelli, 1967, Folio ; un des grands classiques des LEP dans les années 70-80

[9]Les Insurrections singulières, Jeanne Benameur, 2011, Actes Sud

[10]Les Heures souterraines, Delphine de Vigan, 2009, JC Lattès

Soumis par   le 25 Avril 2013