Enseignants, de la vocation au désenchantement Sandrine GARCIA


Note de lecture de Viviane Youx

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Sandrine GARCIA

Ed. La Dispute, Coll. L’enjeu scolaire, 

ISBN 978-2-84303-329-2 – 256 pages – 17€

Parution 27/01.2023

 

 

 

Présentation de l’éditeur : « Comment expliquer la crise actuelle de la vocation pour l’enseignement ? Sandrine Garcia met en relation les expériences vécues par des enseignants du premier degré et les transformations des conditions d’exercice liées aux réformes de la profession. Elle montre que les processus en cours au sein de l’Éducation nationale témoignent d’un contexte plus large de redéfinition des relations entre l’État et les professions chargées d’assurer le service public. Le fossé entre l’investissement professionnel exigé par l’institution et les satisfactions que les enseignants peuvent eux-mêmes escompter de leur métier se creuse, comme en témoignent les entretiens réalisés auprès d’une soixantaine de professeurs et professeures des écoles ayant démissionné. Loin de concerner uniquement les nouveaux entrants de la profession, le désenchantement frappe les enseignants à toutes les étapes de la carrière. »

Sandrine Garcia est professeure de sociologie à l’université de Bourgogne.

 

 

Note de lecture de Viviane Youx

 

Le grand intérêt de cet ouvrage réside dans la focale choisie : pourquoi des professeur·e·s des écoles, qui ont choisi ce métier pour différentes raisons, choix spécifique, reconversion plus ou moins tardive, poursuite d’une trajectoire familiale, en ont-ils ou elles été amené·e·s à démissionner ? Quelles raisons profondes ont déterminé cette décision ? Les entretiens montrent en effet qu’il s’agit plutôt d’une décision raisonnée ou imposée par une grande souffrance que d’un choix délibéré ; les professeur·e·s interrogé·e·s ont investi affectivement et humainement dans ce métier qu’ils ont abandonné. 

Le corpus des professeur·e·s interrogés par Sandrine Garcia est constitué exclusivement de professeurs·e·s des écoles démissionnaires, dont la liste a été fournie par l’ESPE/INSPE et par le rectorat de Bourgogne. Mais nombre des problématiques soulevées par ces démissions peuvent être étendues très facilement aux professeur·e·s du secondaire qui subissent depuis une vingtaine d’années le même type de pressions institutionnelles.

 

Dans le premier chapitre : Les enseignants qui démissionnent : des enseignants comme les autres ? l’autrice tente une catégorisation des démissionnaires. Le désenchantement d’une vocation déçue ne peut qu’en être une explication trop facile. La baisse de considération du métier, sa féminisation assortie d’une faible rémunération, l’espoir déçu d’une reconsidération et réévaluation par la mastérisation sont traitées différemment selon les situations. Les enseignant·e·s d’origine populaire, sensibles à la vocation, vivent une double injonction insoluble : rester fidèle à la vocation familiale de promotion/se déclasser en fuyant la souffrance d’un exercice insupportable. Le choix est différent quand un·e conjoint·e sert de soutien, à la fois dans la prise de décision et avec un salaire additionnel. Enfin, les personnes en reconversion, qui ont choisi ce métier par espoir et foi en l’éducation, l’abandonnent en connaissance de cause, et trouvent plus facilement une porte de sortie grâce à leur ancien métier.

 

Le chapitre 2, Une rationalisation des moyens de travail source de démobilisation professionnelle, « réinscri[t] les transformations du métier d’enseignant dans le processus généralisé de réforme de l’État ». Dans les années 2000, la nouvelle gestion publique entreprend la réduction du nombre d’enseignants ; la loi de 2005 ouvre le droit à la scolarisation ordinaire aux élèves en toutes situations de handicap ; et le pouvoir de titularisation dans le premier degré passe de l’IUFM à l’inspection. Les enseignants se retrouvent face à une gestion managériale qui leur impose plus de charges, tout en réduisant leur nombre, et en contractant les dépenses. L’enquête dégage : 

« trois grands facteurs de pénibilité qui se combinent » : « la présence d’élèves « agités » et/ou en situation de handicap […] des aides insuffisantes ou tout simplement indisponibles, une classe nombreuse et des doubles ou triples niveaux ». (p.76)

Facteurs qui s’ajoutent à une hétérogénéité en hausse depuis la suppression des redoublements.

 

Dans le chapitre 3, Une idéologie à portée pratique, ne pas donner de recettes, les résultats de l’enquête questionnent la formation initiale. Un modèle pédagogique dominant critique la « transmission des savoirs » et la distribution de recettes, alors que s’est imposé le socioconstructivisme et la réflexivité dans la formation, avec le « praticien réflexif » comme cadre. Même si, dans la réalité, les deux modèles ont perduré. Les entretiens de Sandrine Garcia montrent combien les jeunes enseignants sont perdus, pris qu’ils sont entre ce modèle réflexif qu’ils n’arrivent pas encore à être, et « l’expert […] soumis à la technologie rationnelle qui ne pense pas ». Pour construire cette réflexivité, ils ont besoin de savoirs, que la formation ne leur apporte pas en les renvoyant à une autoformation. Pas outillés pour penser, ils en arrivent à la fois à se déprécier et à critiquer le constructivisme qui ne leur a pas permis de devenir des penseurs réflexifs. Ils restent sous contrôle alors qu’on leur prône la responsabilisation.

 

Et c’est bien cette question qui domine le chapitre 4, Des cadres en position d’exécutants ? Les enseignants à l’épreuve de la domination managériale. La « domination managériale » s’exerce à tous les niveaux, celui des inspecteurs « fortement contraints », qui « subissent une domination hiérarchique » se traduisant notamment par une accumulation de tâches administratives et de réunions mobilisatrices de temps de cerveau disponible. Une « violence managériale » se répercute sur les enseignants, et si elle n’est pas nouvelle, elle prend un sens nouveau dans « un contexte de responsabilisation des enseignants », double contrainte accentuée par la lourdeur des classes, la diversité des situations de élèves, l’insuffisance des moyens pour y faire face. Alors que leur recrutement les a mis en position de cadres, les professeur·e·s des écoles se perçoivent comme des exécutants sous contrôle.

 

Le dernier chapitre analyse les démissions au crible des situations familiales et personnelles des enseignant·e·s débutant·e·s : Le rôle de la dynamique des aspirations parentales et individuelles dans les démissions. Alors que le métier d’instituteur a pu offrir une ascension professionnelle aux milieux populaires et notamment aux femmes, le professorat des écoles, en élevant le niveau de diplôme, aurait pu offrir une nouvelle chance. Mais la dégradation du métier, et sa féminisation, ont provoqué un déclassement social très douloureusement vécu. La promotion sociale qu’aurait dû apporter le professorat des écoles s’est muée en une « mobilité descendante ». Le découragement atteint celles et ceux qui sont soumis à des affectations intenables, une hiérarchie peu à l’écoute, et l’impossibilité de mener les actions culturelles qui sont pour eux au cœur de leur responsabilité.

 

L’autrice conclut son ouvrage sur une critique documentée de la rationalisation du travail, avec l’exemple des professeurs des écoles : 

« La médiocre qualité de certains postes et/ou des formes de management autoritaires est à la source de décisions de démission » (p. 241). 

Cette enquête sur ce domaine précis de l’enseignement primaire donne un éclairage sur une dynamique générale de changement profond du métier d’enseignant·e que Xavier Pons appelle un « effet papillon », en modifiant le statut par petites touches successives et en ajoutant des tâches et responsabilités. 

« Les politiques publiques de rationalisation du travail dévalorisent le métier à plusieurs titres : d’une part elles dégradent les conditions de travail, alourdissent les tâches et la charge mentale, réduisent l’univers des possible hors travail par le débordement de ce dernier sur la vie personnelle. De l’autre, elles réduisent les satisfactions proprement professionnelles face à la progression des élèves. En effet, les conditions d’exercice du métier absorbent l’énergie et l’attention, sous l’effet de contraintes avec lesquelles il faut jongler. » (p. 242)

La souffrance au travail que documente cette enquête est, selon l’autrice, majoritairement due à la rationalisation des politiques publiques. 

« L’État ne s’engage pas pour ses personnels, mais organise son propre désengagement en cohérence avec une vision négative de la fonction publique pensée comme un fardeau à alléger. » (p. 247)

Et dans cette situation intenable, ce sont les usagers (les élèves) qui deviennent « la variable d’ajustement » pour supporter le métier !

 

 

 

 

 

 

 

Soumis par   le 10 Février 2023