Éléments pour la réforme du sujet d’invention au baccalauréat


Contribution de Anne-Marie Petitjean

Envoyé à la présidente du CSP le 4 avril 2018

Depuis son insertion en 2001 dans les sujets de l’épreuve anticipée du baccalauréat, l’écriture d’invention a montré des défauts qui légitiment sa réforme, mais non sa suppression :

- les enseignants n’ont pas été formés à son enseignement. Ils ont tendance à passer moins de temps sur un exercice qui requiert autant, voire plus d’acquis de la part des élèves.

- les sujets proposés ont évolué notablement vers une écriture argumentative déguisée, correspondant aux habitudes d’évaluation des professeurs.

- les élèves les plus faibles sont attirés dangereusement par un exercice qui leur parait plus facile et qui semble leur laisser plus de liberté, ce qui n’est pas le cas.

 

Pour autant, il est important de ne pas faire vivre aux enseignants la réforme du baccalauréat comme le retour à un état des lieux d’avant le passage au XXIe siècle

Un bilan pondéré demande à noter l’effet libérateur que le sujet d’invention a eu sur beaucoup de pratiques d’enseignement innovantes. Il demande aussi à reconnaître ce qui le rend propice à être la forme la mieux adaptée à l’école de demain

Un rapide relevé des arguments qui plaident en sa faveur justifie de le réformer en « écriture créative », selon la dénomination la plus propice à faire des liens avec le creative writingconnu dans toutes les formations anglo-saxonnes :


- un argument de filiation à la rhétorique

Le renouveau  d’un « art d’écrire », qui se hisse vers une haute idée de la culture française, évite tout clivage. Il permet de comprendre que la pratique de la littérature comme un art vivant n’est pas un exercice réservé aux « petites classes », mais relève d’une ambition qui anime depuis longtemps l’histoire de l’enseignement. 
 

- un argument d’implication de l’élève

La crise des études littéraires passe par le constat d’un manque d’investissement du sujet lecteur, largement relevé par les recherches en didactique de la littérature. Or cet investissement, qui allie raisonnement et sensibilité, se trouve révélé au moment de mobiliser sa propre « bibliothèque mentale » par l’écriture créative, davantage que par la seule écriture critique. 


- un argument de lien avec les pratiques numériques

De nombreux travaux sur l’écriture via internet montrent la nécessité de tenir compte des habitudes d’écriture des jeunes et de donner la priorité à l’autonomie rédactionnelle, dans l’articulation classique du lire-écrire. Un baccalauréat « plus juste et plus utile » doit tenir compte à la fois des compétences libérées par la fréquentation des réseaux sociaux et de la dynamique effective des enseignants « nativement numériques », qui ont déjà inventé des formats qui articulent ces pratiques rédactionnelles au cadre scolaire. 


- un argument de préparation aux études supérieures

Laisser penser aux élèves que la recherche en littérature se cantonne au relevé et au commentaire donne une bien mauvaise image de ce qu’ils pourront trouver à l’université et dans les écoles d’enseignement supérieur en matière « d’extension du domaine des lettres » et de cohésion entre patrimoine et création contemporaine. La politique de la recherche, soutenue par l’ANR, invite à décloisonner les approches disciplinaires et à relever les enjeux sociétaux. L’exemple du développement actuel de la « recherche-création », dans les masters et doctorats en création littéraire (6 universités en France), est particulièrement éclairant pour mesurer ces dynamiques à l’œuvre et voir que l’articulation entre volet critique et volet créatif est déjà pensée par la recherche universitaire française et internationale. 


- un argument de cohésion internationale

La dissertation, dans toute sa noblesse et sa rigueur intellectuelle, reste un exercice avant tout français. Dans l’essai anglo-saxon, c’est moins le déroulement argumentatif que la capacité à affermir sa voix face à des paroles d’experts bien référées qui est évaluée. Il peut davantage correspondre à des formats d’écrits réclamés dans un cadre professionnel. 

Le nombre de « non réponses » lors des évaluations des élèves français montre d’autre part qu’il faut valoriser la prise de risque et l’audace, y compris dans les pratiques enseignantes. 

C’est justement le point fort des ateliers d’écriture créative qui correspond à une dynamique internationale de faveur de la pratique littéraire. L’université française l’a déjà compris et a besoin de maintenir le lien avec les pratiques scolaires. 

 

L’argumentaire peut être développé, travaux de recherche à l’appui. Il fédère des approches parfaitement identifiées dans le champ des études littéraires contemporaines et des recherches en didactique de la littérature. Il ne se veut pas clivant, mais au contraire apte à ouvrir une discussion sereine et raisonnée sur l’intérêt de ne pas brader trop rapidement le sujet d’invention au baccalauréat. Les enjeux sont trop importants, y compris pour le rôle que la France peut tenir sur le plan international si elle se montre capable d’inventer des épreuves qui tiennent compte des dynamiques contemporaines.

 

 

   Anne-Marie Petitjean,
Maitre de conférences en langue et littérature françaises, Université de Cergy-Pontoise,
Membre adhérente de l’AFEF, Comité de rédaction de la revue Le Français Aujourd’hui

Soumis par   le 10 Avril 2018