De la pédagogie du français à la didactique des langues : les disciplines, la linguistique et l’histoire, Jean-Louis Chiss


Note de lecture de Viviane Youx

De la pédagogie du français à la didactique des langues : les disciplines, la linguistique et l’histoire, CHISS Jean-Louis

École Polytechnique éds. Octobre 2016, 224 pages
Code ISBN : 2730216391

 

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Dans cet ouvrage dense, Jean-Louis Chiss se donne pour projet de revenir sur la généalogie de la didactique du français. Comment s’est-elle constituée, depuis la pédagogie du français, en empruntant à la linguistique ? Comment l’immigration a-t-elle fait évoluer ses problématiques ? Quel impact doit avoir la conceptualisation de la didactique des langues sur la formation des enseignants ?

 

La première partie « Linguistique, enseignement du français et formation des enseignants », opère un retour sur la linguistique ; si cette composante a joué un rôle aussi reconnu que décrié dans la constitution de la didactique du français, l’auteur fait le tour des courants qui ont joué leur rôle en insistant sur la nécessaire clarification des référents théoriques. Grâce à son autorité scientifique, le recours à la linguistique vise alors à conférer une scientificité à la rénovation de l’enseignement du français. Mais la didactique a du mal à se constituer, la crise de l’enseignement du français dans les années quatre-vingt déplace le curseur du côté de la pédagogie générale, qui se désinvestit des problèmes spécifiques au français. Un brouillage se produit, la formation des enseignants est incomplète et anarchique, à partir d’éléments de linguistique peu cohérents et théorisés, et la disciplinarisation du français est difficile. Entre linguistique de la phrase et linguistique du discours, le changement de problématiques aurait mérité une analyse plus fine des modèles de référence, pratique langagière et analyse de la langue. C’est en fait surtout la psycholinguistique qui constitue une avancée en se centrant sur le rôle médiateur du langage.  Et, faute de référents théoriques clairement établis sur la place à accorder au verbal dans l’ouverture à la sémiotique, le linguistique et le culturel se trouvent dénaturés, et la littérature peine à trouver sa place dans un système de littérarité déculturarisée. Or si langue et littérature ont des relations complexes dans la discipline, selon une « idéologie française », le clivage entre les deux a tendance à établir une hiérarchie qui fait oublier que, en français mais pas seulement, la langue est dans la littérature ; et c’est leur intégration et leur transversalité qui permet de considérer « les questions du sujet écrivant-lisant, du sens et des valeurs ».

 

En introduction de la deuxième partie « Immigration et langue seconde : un passage entre didactique du français et didactique des langues », JLC rappelle l’importance des « questionnements linguistiques, culturels et idéologiques » qu’a impliqués l’immigration dans l’évolution de la didactique. Les prescriptions institutionnelles ne sont pas anodines quand elles évoluent de l’intégration à l’inclusion, les « pratiques éducatives inclusives » faisant de l’apprentissage du français par tous les élèves plus qu’une langue seconde ou de scolarisation. Mondialisation et flux migratoires imposent de maitriser une langue dans un contexte de « plurilinguisme lucide », difficilement conciliable avec le monolinguisme inhérent à l’idéologie française de défense et pureté de la langue. L’intégration linguistique dans un contexte d’immigration demande d’analyser précisément les notions de langue maternelle-nationale vs identitaire-communautaire, pour que l’école prenne en compte les différences culturelles et linguistiques si on ne veut pas faire du plurilinguisme une injonction de peu d’effet. La question de la littératie est centrale, elle impose de prendre en compte le rapport au langage, oral et écrit, qui va permettre l’appropriation des savoirs scolaires. Comme réponse aux questions linguistiques de l’immigration, le FLS (français langue seconde ou de scolarisation) ne peut se limiter à une méthodologie d’enseignement, mais demande d’être recontextualisé dans la didactique des langues et des cultures.

 

 La troisième partie « La didactique des langues : conceptualité, unité et diversité », s’ouvre sur le rôle de la formation dans l’émergence de la didactique des langues. Les pays francophones ont vu émerger une spécialité disciplinaire de français langue étrangère (FLE) avec un champ didactique et des méthodologies développés en formation, alors que les changements en langue maternelle ne s’accompagnaient pas de la formation nécessaire qui aurait permis une constitution aussi solide comme didactique. D’une manière générale la didactique des langues et des cultures interroge les cultures linguistiques et éducatives dont les modèles ont évolué d’une didactique descendante, applicationniste, à une didactique ascendante, partant des pratiques sans pourtant se réduire à un primat du « terrain ». La langue française et son enseignement s’insèrent dans un ensemble de représentations à forte dimension politique qui pèsent sur les choix. Une des particularités du français est de placer la littérature entre langue et culture, car la littérature, porteuse de sens et de valeurs, s’enracine dans la langue. Le français à/de l’école interroge sur la complexité du mot « français », langue ? discipline ? Un rappel est important pour les discours disciplinaires et interdisciplinaires : « le français dans l’école française est triplement présent : comme langue de communication […], comme langue d’enseignement […], comme langue d’apprentissage. » (p. 146). Si on replace le français dans la didactique des langues, pourquoi des champs séparés, FLM-FLS-FLE ? JLC avance l’idée d’une didactique du français, à deux conditions, que l’objet langue, bien commun, soit pensé dans ses variations ; et que, entre FLM, FLE et FLS on admette un continuum. La didactique des langues, et du français, s’inscrit dans une contextualisation qui renvoie à des valeurs, et les débats récurrents sur le système éducatif imposent d’argumenter solidement. La discipline français et sa didactisation, comme la didactique des langues, trouverait des réponses dans les sciences du langage aux questions qu’elle se pose sur : écrit/oral, grammaire/communication, langue/texte/discours, lecture/écriture/littératie. L’ouvrage se termine sur l’originalité du parcours pluridisciplinaire proposé par l’UFR DFLE Paris 3 Sorbonne Nouvelle qui tient compte de la « complexité d’un rapport entre langue(s), littérature(s) et cultures(s) ». (p. 195).

 

La formation de tous les enseignants de français ne pourrait-elle pas s’appuyer sur un tel parcours pluridisciplinaire linguistique-littéraire ? Préciser les référents théoriques, élaborer un mouvement circulaire entre observations de classe et analyses de chercheurs, c’est ce dont ont besoin tous les enseignants pour répondre aux enjeux langagiers, linguistiques et culturels que notre école devrait se fixer : une formation langagière, linguistique et culturelle pour composer et faire vivre une société plurilingue. 

Viviane Youx

Soumis par   le 31 Octobre 2016