BONNÉRY Stéphane – Comprendre l’échec scolaire – Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques


Note de lecture de Dominique Seghetchian

couv BONNÉRY Stéphane – Comprendre l’échec scolaire  – Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques – éditions La Dispute 2007, coll. L’enjeu scolaire – 212 pages – ISBN 978-2-84303-154-0

 

Cet ouvrage est préfacé par E. BAUTIER, de l’équipe ESSI-ESCOL qui a dirigé la thèse de doctorat dont il est issu. Dans les remerciements inauguraux, daté de « vendémiaire, an CCXIV – façon de signifier qu’il s’inscrit dans une réflexion sur une école républicaine plus montagnarde que girondine ? – l’auteur  signale que sa réflexion s’est nourrie des échanges entre cette équipe et le réseau RESEIDA dont un ouvrage était présenté dans la Lettre de l’AFEFde juin 2014.

Stéphane BONNÉRY a suivi quelques élèves issus de milieux populaires, à l’articulation  entre l’école élémentaire et le collège (du CM2 au premier trimestre de 5ème). Il s’est attaché à ceux qui étaient plus particulièrement en difficultés pour mettre en évidence comment l’école peut générer le décrochage scolaire.

Le premier chapitre, montre comment certains élèves sont mis en difficulté par un malentendu sur les enjeux scolaires, les objets d’apprentissage. Il décrit 3 séquences de CM2 (en technologie/physique, mathématiques et SVT) et 3 au collège (en géographie, SVT et français). Cela lui permet de mettre en évidence pourquoi des élèves non connivents avec la culture scolaire passent à côté des apprentissages attendus. Le cadrage – flou en ce qui concerne le travail de conceptualisation, mais serré sur des micro-tâches – favorise la reproduction des rapports sociaux au savoir. En effet, l’école renvoie ainsi au cadre familial la construction d’une attitude intellectuelle d’appropriation qui permet l’autonomie réflexive et entretient une attitude de conformité valorisée dans classes populaires. L’école élémentaire et les dispositifs d’adaptation à l’entrée au collège vont « euphémiser » la difficulté : la centration sur l’activité et la coopération vont entretenir l’illusion de la réussite par imitation et l’acquisition de mécanismes tandis que la  valorisation de la participation masque l’enjeu réflexif. A l’entrée au collège, les professeurs n’enseigneront pas davantage la réflexion. La perception et la maitrise des enjeux cognitifs resteront des prérequis, mais, désormais exigés, elles susciteront une attitude de résistance : « Quand l’école exerce ainsi une violence symbolique, quand elle inculque une échelle de valeurs légitimant la hiérarchie sociale, elle met les élèves en conflit avec elle-même » (p. 96). Le quatrième et dernier chapitre, intitulé « Spirales de l’échec », met l’accent sur des parcours emblématiques d’élèves pour mieux révéler l’impact, personnel mais aussi social et sociétal, de l’opacité des attentes scolaires et de l’illisibilité des parcours.

Les chapitres 2 et 3 étudient ce qui rend possible ces situations en interrogeant l’un l’évolution de l’institution, l’autre celle de la socialisation des jeunes.

Le premier constat est que « L’activité intellectuelle requise des élèves est centrée aujourd’hui sur la compréhension bien plus que sur une simple mémorisation-restitution. » Le collège unique voit se superposer trois logiques qui coexistent de façon stratifiée dans les pédagogies : un modèle traditionnel hérité du lycée induit un pilotage par l’aval, un modèle issu de la maternelle, centré sur l’épanouissement, influence les pédagogies par l’amont, ils coexistent avec un troisième modèle, issu des pédagogies adaptées, qui génère un cadrage étroit sur un guidage individuel de l’effectuation de tâches morcelées, sans attention à l’activité cognitive sollicitée. Ces stratifications aboutissent à la mise en synergie de pratiques fondées sur une connivence socio-culturelle et de pratiques qui masquent aux enfants des classes populaires le but et le chemin des apprentissages requis. L’idéologie de l’égalité des chances rend acceptable une sélection présentée comme fondée sur le mérite : « Ainsi disparait […] le fait que le rôle de l’école pourrait être non plus de s’adapter à ces différences initiales […], mais au contraire de considérer que l’élève normal est celui qui a besoin de transformer ses façons de raisonner, en s’appropriant l’attitude intellectuelle spécifiquement requise à l’école et propre à la culture écrite. » (p. 92-93). Le changement de cycle joue un rôle de révélateur : le collège, fondé sur le modèle secondaire, ne satisfait plus la dépendance aux reformulations ou au morcèlement des tâches sans apporter les compétences techniques présentées comme des prérequis (p. 90). Cette mise en échec est interprétée sur le registre personnel et identitaire par des élèves qui ne perçoivent pas que les savoirs proposés appartiennent au patrimoine culturel et scientifique. Ce ressenti est renforcé par le fait que « l’identification des difficultés d’apprentissage conduit peu souvent à la constitution d’espaces collectifs de travail et de réflexion sur les façons d’enseigner […] L’école n’aurait qu’à permettre l’éclosion de ces compétences en mettant les élèves en présence de tâches dans lesquelles ils devraient normalement s’approprier les savoirs » (p. 96).

Le fonctionnement de l’école est d’autant plus discriminant qu’il renforce les effets de la socialité juvénile. Il masque et met en conflit des usages sociaux et des valeurs alors que la mission de l’institution scolaire devrait être de faire de cet écart, précisément, un objet d’apprentissage. Par exemple le travail reste une valeur forte dans les milieux populaires mais « Faute d’organiser une mise au travail des élèves qui les engage dans les bonnes postures d’apprentissage, l’école encourage une attitude de conformité, où l’effort est coupé de l’apprentissage, attitude à laquelle ces élèves sont déjà enclins » (p. 106). D’autre part, l’attention à l’enrôlement dans des tâches dont l’effectuation suffirait à accéder aux savoirs qu’elles permettent de côtoyer, masque la nécessité d’une vraie mise au travail quand l’école pose le désir et le plaisir d’apprendre comme des prérequis : « dans les conditions de l’altérité culturelle [sur les pratiques de lecture par exemple ou les usages du langage], si l’on se contente de mettre les élèves en présence des savoirs et savoir-faire, on ne leur permet pas de faire de l’écart entre leurs pratiques familières et celles de l’école un espace qu’ils peuvent s’approprier progressivement » (p. 115). L’école prive ainsi ces enfants et adolescents de la possibilité d’adhérer à un « nous apprenants », une communauté d’apprentissage. Des pratiques pédagogiques vont au contraire les entretenir dans un « nous élèves », collection de personnes subordonnées par leur place dans l’institution, quand ce n’est pas un « nous enfants/adolescents », une communauté de vie, celle de leur milieu et de leur groupe. Dans le même temps, les transformations sociétales (prolongement de la scolarité obligatoire, chômage…) « impliquent une socialisation prolongée des nouvelles générations dans les groupes de pairs » (p. 127). Le contexte est alors favorable à ce que cette disqualification soit vécue « moins comme le constat d’un écart aux exigences objectives des apprentissages que comme un rejet de leur personne ou de leur appartenance ethnique… » (p. 193).

Étudiant sur le terrain la « contribution des dispositifs pédagogiques à la construction de la difficulté scolaire », Comprendre l’échec scolaire balise la réflexion sur des pratiques en rupture avec la reproduction scolaire des inégalités sociales en ce qu’il montre comment c’est en œuvrant à l’explicitation des savoirs et compétences en jeu, et dans la mise à distance réflexive de l’expérience et du vécu, que les enseignants seront à même de transformer la massification de l’école en démocratisation. Dans sa conclusion, il pointe cinq marges de manœuvre : 

1)    En finir avec la disqualification du métier enseignant pour redonner à ces professionnels ce qu’ailleurs on nommerait du « pouvoir d’agir ».

2)    Reconnaitre que « la bienveillance protectrice, lorsqu’elle permet de contourner la question de la conflictualité sociale, ne peut jouer que comme un leurre » (p. 198)

3)    Rendre les enseignants conscients que leur travail est au carrefour d’exigences contradictoires : « l’intégration dans une société de plus en plus instruite exige de chaque citoyen un haut niveau de formation intellectuelle. La société impose donc à l’école de transmettre des attitudes cognitives plus complexes. De l’autre côté la reproduction des rapports de classe suppose que les attitudes cognitives appropriées aux apprentissages approfondis restent l’apanage d’une minorité » (p. 200).

4)    L’adoption d’une posture « du bas vers le haut ».

5)    Élaborer des « alterpédagogies » et en étudier les effets : autrement dit, initier une démarche de recherche-action identique à celle que l’AFEF souhaite initier à travers son université d’automne.

 

Soumis par   le 04 Juillet 2014