Appel à contributions - FA N° 205 (parution Juin 2019) - « Textes et gestes de la maternelle au lycée »


Coordination Valérie Ducrot, Chantal Lapeyre & Serge Martin

Mais que l’on en revienne si peu que ce soit aux sources respiratoires, plastiques, actives du langage, que l’on rattache les mots aux mouvements physiques qui leur ont donné naissance, et que le côté logique et discursif de la parole disparaisse sous son côté physique et affectif, c’est-à-dire que les mots au lieu d’être pris uniquement pour ce qu’ils veulent dire grammaticalement parlants soient entendus sous leur angle sonore, soient perçus comme des mouvements, […] et voici que le langage de la littérature se recompose, devient vivant.

Antonin Artaud, Œuvres, Quarto-Gallimard, 2004, p. 578.

 « Pas de mots », proposait un volume collectif dirigé par Stefano Genetti et Laura Colombo[1], jouant avec malice de l’équivoque, « pas de mots », mais des mots, cependant, qui répondent aux pas, et des pas suscités par les mots, des mots, toujours et enfin, pour penser l’implication du chorégraphique et du littéraire, interroger « les dynamiques et les enjeux d’un code à l’autre, des mots écrits aux corps en mouvement ». 

Cette première tentative d’élucidation a ouvert la voie à de nombreux travaux[2], lesquels participent plus largement à ce qu’on peut appeler un tournant gestuel des études littéraires[3], et elle est sans doute à la source du premier colloque consacré exclusivement à cette dialectique, « Gestualités et textualités en danse contemporaine – Du tournant des années 80 à nos jours »[4], ou du colloque international portant sur le livret de ballet, son histoire, ses formes et ses enjeux dans la période contemporaine[5]. Dans le même temps l’articulation didactique du texte et du geste de la maternelle au lycée a retenu l’attention de quelques chercheurs, notamment dans le numéro 186 de la revue Le Français aujourd’hui, consacré aux Nouveaux livres-objets[6],dont la matérialité suscite, appelle, commande la mise en œuvre d’une gestualité particulière, ou dans le volume Danser avec les albums, dont le propos est de mettre en œuvre des formes inattendues de lecture en classe, passant non par les processus conventionnels en ce domaine, mais par la mise en jeu du corps devenu entièrement et pleinement lecteur. Max Butlen dans l’introduction en précise ainsi le projet et en souligne la double dynamique : 

Les albums de littérature de jeunesse offrent une ressource exceptionnelle pour initier les élèves à l’expression corporelle, à la danse, au mouvement, pour en explorer les infinies possibilités, les impacts sur la conscience de soi et sur l’imaginaire. La lecture si motivante de leur texte et de leurs images, quand elle se fait attentive aux gestes qui s’accomplissent, aux espaces qui s’ouvrent, au temps qui passe, aux singularités des rencontres avec les objets et les êtres, se révèle susceptible de conduire les enfants à développer une conscience corporelle, à affiner leurs sensations, à exprimer leurs émotions tout en s’initiant à une esthétique et à une maîtrise du déplacement. Ce faisant, les gestes qu’ils sont invités à réaliser, les mouvements dansés qu’ils inventent, non seulement les aident à mieux lire l’œuvre, à mieux comprendre « le texte de l’auteur », mais ils traduisent aussi une manière très personnelle de le recevoir : c’est-à-dire qu’ils révèlent ce qu’on appelle désormais « le texte du lecteur.[7]

Invitation à « lire autrement les albums, en posant sur eux les yeux de la danse », le volume promeut un regard autre sur le texte qui en retour enrichit la compréhension purement textuelle. 

Le volume envisagé souhaite, quant à lui, élargir quelque peu l’empan de la réflexion, et suivre le versant didactique des questionnements engagés par le colloque de Cerisy, en analysant ce qui fait texte, ce qui fait geste à l’école, la manière et les fruits à attendre de leur articulation. Qu’est-ce qu’un geste, en effet, à l’école ? Mais aussi qu’est-ce qu’un texte ? Il s’agira donc d’interroger la manière dont le texte en réception, certes, mais aussi en production, touche le corps[8], ainsi que les effets produits par le corps sur le texte même en termes de gestes. En d’autres termes, quels effets, dans le domaine de la lecture (compréhension-interprétation) et de l’écriture, par la mise en corps, par le truchement de la synergie geste/espace ? Les procédures de compréhension et d’interprétation sont-elles modifiées, déplacées ? La gestuelle chorégraphique (cette écriture dans l’espace) peut-elle avoir une incidence sur l’écriture purement textuelle ? En quoi les gestes en écriture comme en lecture constituent-ils des énonciations continuées ? Vers quels accompagnements novateurs ouvre l’attention qui peut leur être portée ?

Le volume projeté pourrait s’organiser selon trois axes :

1-   Explorer et discuter la dansité[9] des œuvres en littérature de jeunesse. Existe-t-il des textes spécifiquement porteurs (de gestes et de danses) ou au contraire toute œuvre peut-elle susciter une mise en mouvement ? Mais dans ce cas, ne faudrait-il pas appréhender autrement le texte littéraire même ? Il s’agirait dans ce cas de lire les œuvres en ce sens à l’aune de la danse, sans se limiter aux indicateurs de mouvement ou de spatialité. 

2-   Qu’est-ce qu’un geste ? Quelles sont ses limites ? Peut-on inclure comme « geste » toute mise en mouvement du corps – kinétique, vocale, auditive, visuelle, quelle que soit son ampleur ? 

3-   Quels sont les enjeux pédagogiques et didactiques de l’articulation texte/geste ? Quels (doubles) bénéfices en attendre ? 

 

Propositions d’article :

Les propositions de 2000 signes environ (espaces non compris), accompagnées d’une bibliographie sommaire et de cinq mots-clés, sont à envoyer avant le 20 juin 2018 aux trois adresses suivantes :  

Valerie.Ducrot@u-bourgogne.fr

c.lapeyre1@free.fr

serge.martin@univ-paris3.fr

 

Calendrier : 

20 juin 2018 : Réception des propositions.

30 juin 2018 : Retour des acceptations/refus des propositions.

15 décembre 2018 : Première version des articles pour évaluation en double aveugle.

20 février 2019 : Réception des articles définitifs.

15 juin 2019 : Parution du numéro.

 



[1]Laura Colombo et Stefano Genetti (dir.), Pas de mots – de la littérature à la danse, Hermann, 2010.

[2]Par exemple : Magali Nachtergael et Lucille Toth (dir.), Danse contemporaine et littérature – entre fictions et performances écrites, Editions du CND, 2015.

[3]De l’ouvrage de Guillemette Bolens, Le Style des gestes. Corporéité et kinésie dans le récit littéraire(BHM, 2008) à celui de Dominique Rabaté, Gestes lyriques(José Corti, 2013) en passant par celui d’Yves Citton, Gestes d’humanité(Armand Colin, 2012), on peut signaler dans ce tournant gestuel dont on pourrait trouver des linéaments anglo-saxons d’Erwing Goffman à Tim Ingold, outre les travaux de Marielle Macé, le séminaire transversal de l’UMR THALIM, dirigé par Serge Martin et Aline Bergé au Musée du quai Branly en 2014-2014, « Littérature et anthropologie, histoires de gestes » (publication à venir) repartait des travaux fondateurs de Marcel Jousse (1925, 1974, 2008) et de sa critique par Henri Meschonnic en 1982, ainsi que ceux de Leroi-Gourhan (1965) ou de Jean-Claude Schmitt (1990) sans parler de la reprise des recherches lancées par Gilbert Simondon (1965) chez Deleuze et Guattari, par exemple.

[4]Le colloque (organisé par Stefano Genetti, Chantal Lapeyre et Frédéric Pouillaude) a eu lieu à Cerisy-la-Salle en juillet 2016.

[5]Ce colloque international, organisé par Marie Cléren, Caroline Mounier-Véhier, Laura Soudy et Delphine Torrent, a eu lieu les 20, 21 et 22 avril 2017 à La Maison de la Recherche de la Sorbonne. Il faisait suite aux travaux fondateurs en ce domaine d’Hélène Laplace-Claverie (Ecrire pour la danse : les livrets de ballet de Théophile Gautier à Jean Cocteau, Champion, coll. « Romantismes et modernités », 2001), pour la période 1870-1914 et de Delphine Vernozy pour la période suivante (Le livret de ballet, un objet littéraire ? Ecrivains et chorégraphes en France des années 1910 aux années 1960, thèse sous la direction de M. Didier Alexandre, soutenue en Sorbonne, le 3 décembre 2015.) 

[6]Florence Gaiotti, Chantal Lapeyre et Brigitte Marin (dir.), « Les nouveaux livres-objets », Le Français aujourd’hui, n° 186, Armand Colin, 2014. 

[7]Pascale Tardif et Laurence Pagès, Danser avec les albums jeunesse, Canopé éditions, 2015, p. 5.

[8]Voir l’article d’Elise Vandeninden à ce sujet. https://www.erudit.org/fr/revues/etudlitt/2010-v41-n2-etudlitt3987/045161ar.pdf

[9]Le mot est d’Alice Godfroy, dans Prendre corps et langue – étude pour une dansité de l’écriture poétique, Ganse – arts et lettres, 2015.

Soumis par   le 04 Juin 2018