Etude de la langue et sens - Compte-rendu de la rencontre-débat


Rencontre-débat AFEF - Étude de la langue et sens

 

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Introduction :

Pourquoi tant de place pour l’étude de la langue ?

Et quelle place ?

 

 

Intervention de Patrice Gourdet

L’enseignement de la langue : Regard diachronique et questions vives

 

 

Patrice Gourdet (ÉSPÉ de Versailles, Université de Cergy-Pointoise, Laboratoire EMA) va centrer son intervention, plus théorique, sur l’enseignement de la langue au primaire, notamment au CP, même si son champ de recherche porte principalement sur le verbe au CE2.

 

Voir le diaporama de Patrice Gourdet avec l’ensemble des tableaux

 

Il s’appuie d’abord sur une perception des savoirs appris : « On ne fait plus de dictée » « Il suffit d’apprendre les règles et de faire des exercices d’application ! », « Réformer l’orthographe, c’est mettre en danger notre culture française ! », « Pour apprendre le fonctionnement de la langue, il faut l’aborder en séparant : Grammaire, Conjugaison, Orthographe, Vocabulaire », « C’était mieux avant, le niveau baisse », etc.

Dès qu’on parle « enseignement de la langue », on pense « grammaire », « grammaire scolaire » donc aussi « orthographe », donc « niveau », et par voie de conséquence qu’il faudrait des dictées, davantage de dictées et d’exercices d’application. Attaché aux dictées, PG rappelle qu’elles ne suffisent pas pour apprendre le fonctionnement de la langue.

Quant à la baisse du niveau, les données que l’on a concernant une étude sur le niveau des Français montrent, à travers l’analyse des lettres de Poilus(JC Pellat : étude sur les erreurs des Poilus) que, contrairement à ce que l’on entend souvent, le niveau ne baisse pas. Ainsi, lors de tests au service militaire en 1913, environ 10% des conscrits avaient le « niveau certificat d’études », et on ne montre que les lettres des Poilus qui savaient écrire.

 

Depuis un siècle et demi, la durée de vie des programmes s’est réduite drastiquement : les premiers datent de 1887 et ont duré jusqu’en 1923 ; puis de 1923 à 1945 (avec toutefois des changements au moment de Vichy) ; puis de 1945 à 1972 ; puis de nouveaux programmes en 1980 ; puis en 1985 ; 1995 ; 2002 ; 2007 ; 2008 ; 2015 ; 2018 (« ajustements »). Or, il faut 15 à 18 ans pour que les programmes atteignent tous leurs buts : dans les manuels, les pratiques de classe…

 

Depuis 1995, chaque changement politique entraine pratiquement un changement de programmes.

Dans ces derniers, on constate la coexistence de deux configurations didactiques opposées (cf. JF Halté , 1992) :

  • La démarche applicationniste :une grammaire prescriptive et transmissive (Des parties vers le tout àLa langue telle qu’elle devrait être)
  • La démarche réflexive :une grammaire descriptive (Du tout vers les parties àLa langue telle qu’elle est)

Ces deux tendances se sont succédé au gré des réformes ; parfois elles existent toutes les deux dans les mêmes instructions.

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Dès 1911, Ferdinand Brunot disait déjà qu’il fallait rompre avec la méthode déductive. Louis Legrand (Dans l’enseignement du Français à l’école élémentaire) en 1966 met en exergue le manque d’efficacité de cette méthode déductive.

 

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Aujourd'hui,  la part à consacrer à l’étude de la langue en primaire est de 40% du temps de l’enseignement de français, elle était de 33% dans les Instructions Officielles de 1923 (mais dans un enseignement primaire de 30h par semaine, 5 jours pleins). Or il y a en 2018 deux fois moins d’heures pour l’enseignement du français qu’en 1923.

 

La réforme des cycles (CE2 au cycle 2 et 6een fin de cycle 3) a donné une respiration au CE1 et au CM2. Le CE2 revient au cycle auquel il doit appartenir, le cycle 3 peut commencer sur des bases plus solides.

La note de service du 26 avril 2018 préconise de consacrer 3h par semaine à l’enseignement de la langue sur l’horaire de français. Et PG utilise cette préconisation pour convaincre les enseignants que ce sont seulement 3h par semaine, contrairement aux pratiques actuelles du primaire.

 

Une enquête de 2012 (DEPP, 190 écoles) montre que l’enseignement de la langue se passe de la manière suivante : 76% = leçon + exercices d’application. 

Cette enquête montre également que 18% des enseignants sont formés en linguistique (D. Cogis).

 

Par ailleurs, on peut noter que l’appui sur l’orthographe rectifiée (depuis 1991) a été lui aussi fluctuant. Ainsi, les programmes 2015 ont été écrits en orthographe rectifiée, les ajustements (2018) non, mais ils ne portent que sur le français, les maths et l’EMC.

 

Information de D. Cogis : Séminaire ECRISCOL (7 février, 14h-17h à Paris) : comparaison entre Lettres de Poilus et erreurs des élèves

 

Intervention  de Karine Risselin

Quelles sont les conditions pour qu’un enseignement-apprentissage de la langue soit associé à la construction du sens ?

 

Karine Risselin encadre le Groupe académique Maitrise de la langue (Académie de Créteil ; ESPE et lycée de Villeneuve St Georges), et elle a participé, avec Patrice Gourdet, à l’élaboration des Programmes 2015.

 

Elle présente d’abord les mots recueillis autour de l’enseignement de la langue après deux sondages auprès de deux groupes différents en formation initiale et continue. Les deux nuages de mots répondaient à la question : sur l’«enseignement de la langue» : donner rapidement 3 mots. 

 

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1)  Le premier a été recueilli auprès d’une trentaine de professeurs stagiaires PLC, titulaires du CAPES ou de l’agrégation, déjà mastérisés, mais débutant en temps partiel en lycée.

 

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2) Le second a été recueilli dans un stage du PAF, en collège, auprès de professeurs plus chevronnés ayant déjà suivi un ou plusieurs stages de grammaire : il est intéressant de noter l’arrivée du sens, de la manipulation. La formation et l’expérience ont fait évoluer les représentations.

 

Ces nuages de mots montrent la complexité de la compréhension par les enseignants de ce qu’il y a derrière l’enseignement de la langue.

 

Les conditions qui permettraient à l’enseignant de penser l’enseignement de la langue    
Une triade :

 

Karine Risselin présente ces trois conditions, qu’il faut rechercher dans les programmes. Les nouveaux programmes de lycée (BO spécial n°1 du 22 janvier 2019) mentionnent pour l’étude de la langue des « compétences langagières » et des « connaissances linguistiques » (Présentation générale, § 1). Quand on fait un remueméninge sur ces questions, on obtient le plus grand flou.

On pourra se reporter au n° 198 du Français Aujourd’hui et à l’article de K. Risselin et G. Duez.

 

  • Les compétences langagières

Mettre le jeune élève dans un bain de langage de qualité, développer les capacités d’expression orale, écrite et de lecture.

 

  • Les compétences linguistiques

Développer des compétences pour mieux écrire. Ces compétences doivent parvenir à construire la capacité des élèves à prendre de la distance par rapport à la langue et à construire également un rapport à la norme.

3 pôles : 

-Des compétences d’analyse :les régularités du système linguistique, étude de la syntaxe et de la morphologie verbale (temps, modes, marques de personnes etc…). 

 

-Des compétences de manipulation :Ce qui va permettre de rendre acceptable son texte. 

Ces compétences font partie intégrante des gestes d’écriture. Elles sont développées à travers quatre opérations, quatre verbes « magiques » : déplacer, remplacer, supprimer, ajouter. 

Cesmanipulations doivent permettre de mieux réfléchir à ce qu’on exprime et de rendre cette expression plus efficace. 

 

-Des compétences procédurales :des stratégies efficientes pour vérifier, « se relire », identifier ses erreurs et savoir les analyser, puis « corriger ses écrits ». 

 

  • Les connaissances linguistiques

Les concepts. Faire découvrir le concept pour faire découvrir la vision systémique de la langue, aider les élèves à mettre des mots sur les concepts et sur les compétences linguistiques qu’ils découvrent.

 

Au cycle 4, il faut découvrir le système, non multiplier les catégories. Ainsi, le professeur doit continuer à penser « complément de phrase/complément de verbe » et non partir des notions de « compléments circonstanciels » pour aller vers le détail de ces derniers.

 

On pourra donc faire manipuler la langue par les élèves au niveau des éléments suivants : verbe, nom, phrase, texte. Ces tâches entraineront des activités de :

- Tri, catégorisation : avec des classements différents, sur lesquels interroger ;

- Travail sur corpus : le choix de corpus est primordial, là encore, le travail de réflexion des élèves est important ;

- Exemples : oui/non sur l’acceptabilité, selon les situations ;

- Cueillette de mots (Voir FA) : enquête par les élèves à partir d’une consigne comme « Vous avez une semaine pour nous dire comment les gens demandent quelque chose à quelqu’un) àDégager des patrons linguistiques. Là encore intervient la notion d’acceptabilité selon les situations de communication.

 

aDévelopper des habiletés cognitives (Engager un chantier de grammaire, travailler sur corpus, découvrir des stratégies, réfléchir sur la langue àpour prendre du recul).

 

Le rapport à la langue des enseignants est à réinterroger au travers des pratiques du terrain. 

 

D. Cogis rajoute la triade de M. Brigaudiot - VIP : Valoriser, interpréter, poser l’écart pour penser la pratique enseignante.

aSavoir ne pas répondre à l’élève mais plutôt le mettre en réflexion.

 

Valoriser :envoyer à l’enfant un signal de belle image de soi. 

Ex : L’enseignant·e s’adresse ainsi à l’enfant au regard de ce qu’il a réalisé : « Ton dessin de coq est magnifique et tu as écrit!».

 

Interpréter :renvoyer à l’enfant ce qu’il a fait (métacognition/feed-back)

«Alors je crois que je sais comment tu as fait, tu t’es dit que pour écrire, il fallait etc.»

 

Poser un écart entre la remarque de l’enfant et le but du maître. 

«Je vais te montrer comment je l’écris, moi.»

 

aC’est une manière de circonscrire en parallèle l’apprentissage en cours.

 

 

Échanges de la salle : des points 

 

D. Bucheton : Ce qui est marquant pour l’enseignant de français c’est qu’il y a prises de risque partout (Enseignement de la lecture-écriture, enseignement de la langue, …)

Si déjà on arrive à problématiser son enseignement, à sécuriser le métier, ce sera bien. Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui ? Comment réfléchir sur le nouveau métier de l’enseignement du français ? Les gestes professionnels du métier ne sont pas assez nommés. Il serait intéressant de problématiser le métier d’enseignant du français. 

Quelles perspectives en formation ?

aUn changement de positionnement de l’institution est nécessaire. Elle semble actuellement se recentrer sur la norme, les activités de bas niveau, d’application.

 

D. Cogis Le problème c’est que les cours ne sont plus festifs, motivants, amusants éventuellement. On institutionnalise tout de suite avant même d’apprendre correctement. Dans la formation : où cela s’est-il perdu ?

 

F. Wittersheim : on a raté le travail sur l’émotion, sur le corps et l’incarnation du texte.

 

V. Youx : Que peut-on faire pour renverser la tendance ? 

Des différences sont nettes entre les territoires et entre le 1eret 2nddegré, l’encadrement, le rôle de l’inspection sont différents.  Une volonté de « caporalisation » est générale, mais avec des incidences différentes.

 

K. Risselin : Rappelle qu’E. Bautier propose une méthode constructiviste (partant de l’élève) en l’outillant. 

Le cadre doit être posé par l’enseignant. Selon elle, les exigences ont changé, on conceptualise beaucoup plus.

 

M. Rebière : conteste cette présentation d’E. BautierLa différence est qu’il n’y a plus formation au développement de l’enfant en formation initiale (contrairement à ce qui se passait en ENI autrefois). Il faut à nouveau former les enseignants, apprendre aux enseignants la didactique, mais aussi la psychologie de l’enfant. 

 

V. Vincent : Donner envie aux enseignants de faire, d’oser.

 

S. Herreman : 3 points inquiétants : 

1- Le plombage idéologique, la tyrannie des neurosciences, 

2- La tendance de certains sociologues à considérer différemment certains enfants sociologiquement défavorisés, et à en tirer des conclusions sur l’apprentissage de la lecture (en gros : un enfant défavorisé ne peut apprendre à lire qu’avec une méthode syllabique, ses capacités ne lui permettent pas autre chose)

3- L’écriture pour penser disparait. 

 

D. Bucheton : Penser l’enseignement politiquement.

Penser le rapport à la langue autrement que d’une manière normative. 

Une transformation sociétale induit une transformation de la manière de penser (Normée et normative). Les aspirations de la population semblent aller vers un autre axe, rejetant les normes et principes institutionnalisés ; comment accompagner ces questionnements, à l’AFEF, dans les propositions, la réflexion ?

 

P. Gourdet : On voit apparaitre des actions préconisées, voire imposées comme « Agir pour l’école » et « bouge ta classe », cette dernière pouvant d’ailleurs être comprise de différentes manières. 

 

Voir  le Collectif  « Lettres vives » 

 

 

Soumis par   le 27 Janvier 2019