Jean-Pierre Bénichou et le Programme d’aide à la lecture, de Serge Herreman


Hommage à Jean-Pierre Bénichon décédé le 25 aout 2014

 

Jean-Pierre Bénichou et le Programme d’aide à la lecture

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J’ai eu la chance de rencontrer Jean-Pierre Bénichou. IPR-IA, directeur d’École normale puis d’un centre IUFM, il fut d’abord un militant. J’ai choisi d’illustrer l’engagement de Jean-Pierre pour une politique globale de lecture et, au-delà, pour la promotion collective, à travers l’une de ses actions phare : la création et la coordination, entre 1989 et 2004, du Programme d’Aide à la Lecture financé par le conseil général et les communes des Hauts-de-Seine. Une action qui se résume à trois « comment » : comment, porteur des idées de la recherche INRP et de l’AFL, Jean-Pierre Bénichou a su négocier avec un conseil général de droite souhaitant mettre en valeur son action éducative dans le contexte d’un gouvernement de gauche et faire adopter un cahier des charges novateur ; comment ce même Jean-Pierre a su mobiliser, à des degrés divers, les communes concernées. Et enfin, comment, et c’est sans doute le point le plus fort de l’action, il a permis d’interroger les conceptions voire les certitudes et les pratiques pédagogiques et sociales des enseignants engagés dans le dispositif. C’est ce dernier aspect que je souhaite évoquer.

Pas question ici de rendre hommage comme on « tourne la page ». Jean-Pierre, l’écriture de l’histoire à laquelle tu as participé se poursuit avec ses espoirs, ses conflits, son profond ancrage dans la vie.

 

      I.         La naissance du Plan d’Aide à la Lecture ou « La lecture, c’est vraiment l’affaire de tous » va interroger les conceptions et les pratiques pédagogiques du moment et produire un riche débat d’idées.

« Le Conseil Général, est-il déclaré en 1989, entend apporter sa contribution à la lutte contre l’échec scolaire, par une aide appropriée à la lecture à l’intention d’enfants du département en situation difficile. Il ne s’agit pas, pour lui, de substituer sa responsabilité à celle de l'école, pas davantage d’intervenir dans les communes, en lieu et place des municipalités. L’intention est d’affecter des moyens à des actions de soutien. Ces actions devront être coordonnées, dans le cadre du quartier et de la commune, avec toutes celles qui sont conduites dans les divers lieux sociaux fréquentés par les enfants (l’école, lieu privilégié des apprentissages, la bibliothèque municipale, la maison de quartier, le musée, la ludothèque, bref l’ensemble des espaces culturels). Il a semblé naturel au Département de charger son École Normale d’une mission technique de mise en œuvre de ce plan d’aide à la lecture, en liaison avec les municipalités, les responsables de l’Éducation Nationale et ceux du monde associatif. »

Est-on en train de dire au monde enseignant, en parlant de la nécessité de soutenir les élèves en difficulté, que l’école ne fait pas bien son travail ? Certes, on ne refera pas « la classe après la classe »,  on travaillera « en dehors de l’école », et bien sûr « en liaison avec elle », mais cette initiative pose une sérieuse question à de nombreux instituteurs. Qu’y aurait-il de mieux à faire qu’encore un peu plus de classe après la classe ? Pourquoi ne pas faire tout de suite mieux pendant ? La réserve a tendance à tourner en hostilité quand il est suggéré que, pour aider les élèves en difficulté, on pourrait songer à faire sienne l’affirmation que la lecture, c’est l’affaire de tous et ainsi déscolariser la lectureen ouvrant le dispositif à des professionnels non-enseignants ; parmi eux, des bibliothécaires, des travailleurs sociaux, voire des parents ou simplement de « bons » lecteurs… Ainsi l’enseignement de la lecture se verrait aussi confié à des gens dont ce n’est pas le métier ! L’enseignement, non ; mais l’apprentissage ? Est-il possible d’expérimenter une politique globale de lecture en direction du quartier en travaillant avec les différents « acteurs » ? Le Pal est lancé et va rapidement se développer et s’ancrer sur l’ensemble des communes du département.

 

a)    Du groupe au collectif : les premiers pas

L’action se déroule au sein d’un site. Chaque site accueille un ou plusieurs « modules » pour les cycles 2 ou 3 (le cycle 1 sera créé  plus tard) regroupant quelque douze enfants et un animateur pour une session de quarante-deux heures pouvant être reconduite. S’il est conseillé, par souci de « socialiser la lecture »,de choisir entre deux lieux possibles, celui qui apparaîtra comme le moins scolaire (bibliothèque, ludothèque) », le site va néanmoins s’installer le plus souvent au sein d’une école. Toutefois, la règle du jeu scolaire se trouve peu à peu modifiée par l’action entreprise, au fur et à mesure de son avancée et des rencontres liées à la formation de base, d’abord, à la formation recherche, plus tard.

Très vite se crée un groupe Pal. Ce groupe vit, rythmé par un projet et des actions. Ce qui est exprimé d’emblée par les animateurs, c’est un changement de statuts. « L’instit » de la classe et ses élèves ne sont plus dans la même relation au sein du Pal. La formation (obligatoire et rémunérée) proposée aux animateurs impulse de nouvelles pratiques. Ainsi la systématisation (l’entraînement) impose-t-elle qu’on ne fasse pas tous la même chose en même temps. Les activités autour de la littérature jeunesse donnent peu à peu la parole aux enfants de même que le journal, surtout quand il est unoutil au service du groupe. On découvre l’intérêt de l’hétérogénéité bien dosée etl’adulte s’autorise, dans l’action, à laisser du pouvoir aux enfants. Il est permis de penser qu’à l’époque, le Pal a influencé les pratiques  pédagogiques des enseignants qui s’y sont réellement engagés.

 

b)   La technique au service d’un projet

L’outil informatique va entrer dans les écoles… grâce au Pal. Le Conseil général dote chaque site d’un matériel de base avec, au minimum, un ordinateur et une imprimante. Le site est implanté dans une école qui pourra, elle aussi, utiliser le matériel. On est à l’époque où cohabitent nanoréseau, TO7 et TO8, trop souvent dans les placards… Avec l’arrivée de micro-ordinateurs dotés de lecteurs de disquettes, la révolution informatique est (presque) en marche ! Cette dotation ne s’opère pas à vide. Jean-Pierre Bénichou a bien sûr l’idée de favoriser la production d’écrits, notamment à travers la production du journal et l’utilisation de logiciels d’entraînement à la lecture, ELMO0 puis ELMO international et ELMO.

 

c)   Innover pour/et déscolariser

Jean-Pierre Bénichou va porter le dispositif en sachant l’accompagner. C’est « l’empêcheur de penser en rond », celui qui n’évite pas les conflits mais au contraire les fait s’exprimer et permet progressivement de créer un collectif. Je connais beaucoup d’animateurs qui se sont dit: « Ce type-là c’est comme s’il te rendait intelligent ! ». On n’est pas tous beaux ni gentils, on cherche, on s’affronte, on agit. Ainsi, la formation de base s’enrichira-t-elle de groupes de recherche. Ainsi la journée annuelle de rencontre des animateurs donnera-telle lieu à l’expression des avancées, des questionnements, des divergences.

Le Pal est un dispositif cohérent, structuré d’emblée par trois domaines interdépendants : la formation, l’action, l’évaluation. La formation est organisée autour d’un cahier des charges. L’évaluation est interne et menée par la coordination pédagogique ou externe et confiée une année à un chercheur en sociologie associé à l’IUFM de Versailles et à l’AFL à plusieurs reprises. La coordination pédagogique agence des temps de réflexion sur différents thèmes comme la notion de « tiers temps » avec Guy Coq[1], ou « les obstacles aux apprentissages » avec Serge Boismare[2]. Progressivement, le Pal devient une référence de « l’accompagnement scolaire », un pilier incontournable sur le département et, au-delà, un lieu d’innovation et de réflexion.  Toutefois…

 

d)  L’absence d’autosatisfaction

Jean-Pierre Bénichou ne se satisfait jamais des apparents acquis. Il continue de creuser le sillon. Ainsi la coordination du Pal s’est dotée d’un outil d’information avec le projet d’en faire un circuit-court. « Le Journal des partenaires, constate Jean-Pierre Bénichou en 1996, est certes unjournal d’opinion. Mais d’une opinion insuffisamment travaillée ensemble.La durée qui sépare chaque publicationne permet pas de faire du journal un moment de la vie du collectif constitué par le Pal. S’il existe une relative proximité entre lecteurs et auteurs, le travail d’élucidation des pratiques n’a pas été suffisamment conduit pour qu’on en soità avoir créé l’unité de discours qui permettrait au débat de s’amplifier. » Reste que cette vie du groupe de base avec les enfants  et les animateurs, les échanges entre animateurs  via l’engagement dans le Pal ont su faire bouger les idées de statut et de pouvoir chez bon nombre d’acteurs.

 

e)   Statut de l’enfant… et des autres

L’enfant qui veut « venir au Pal » doit s’engager surun contrat écrit signé par lui-même, ses parents et l’animateuraprès un temps de réflexion suffisant. C’est l’existence de cet écrit qui  reconnaît l’enfant en tant que sujet. Sans parité, sans pouvoir, il ne peut être acteur de son apprentissage. On en conviendra : àl’époque où on insiste si fortement sur l’image de soi, presque dix ans après la nécessité affirmée, dans les textes de 2005, de l’engagement explicite de l’enfant  dans des dispositifs d’aide et de soutien, force est de constater humblement les quinze ans d’avance du Pal sur cette question !

Que penser du « statut de l’enfant » ? Grand débat dans lequel Jean-Pierre Bénichou assume pleinement les provocations. De « l’enfance consacrée » à « l’amour des enfants condition sine qua non de la profession d’enseignant »,  quelques stéréotypes sont mis à mal. « Ni enfant-roi, ni individu en attente ; sujet dans une histoire dont il se rend acteur pour autant qu’on l’y associe et que, y prenant sa part, s’exerce au jeu des responsabilités, des droits et des devoirs. » Jean-Pierre Bénichou partage cette définition extraite de l’un des rapports d’activité du Pal. Parler du statut de l’enfant implique un type de comportement : on commence par déclarer que les enfants sont « comme-ci et pas comme-ça », le projet du site n’étant dès lors plusqu’une occasion de leur permettre de manifester qu’ils sont conformes à ce qu’on attend d’eux. Procédant ainsi, on ne parle pas de production mais de production d’enfant, de textemais de texte d’enfant et on néglige de vérifier que la production est conforme à la commande et que le texte en est bien un…

Chez un certain nombre d’animateurs, lequestionnement ne sera donc plus l’enfant mais « comment permettre à chacun d’exercer son pouvoir par et à travers l’écrit ? Comment permettre à chacun, adultes et enfants, de prendre place, en tant qu’acteurs, dans un projet social ?»

 

II.          Entre résistances et convictions (plus ou moins) assumées

Jean-Pierre Bénichou est président de l’AFL, nul ne l’ignore. Il va savoir insuffler les idées auxquelles il est attaché en tenant compte des réalités du terrain. Il s’entoure d’une équipe de formateurs d’origines diverses puis de praticiens s’étant confrontés à la formation et engagés dans un mouvement de réflexion contradictoire. En ce sens, le Pal va véritablement devenir un creuset. Le cahier des charges du Programme d’Aide à la Lecture définit trois axes principaux d’action : un premier intéresse la littérature jeunesse, un deuxième la systématisation, un troisième l’écrit. Le projet est bien sûr le liant porteur de sens de l’ensemble. Comment chacun de ces axes se développe-t-il entre 1989 et 2004 ?

 

a)    La littérature dite de jeunesse

L’adhésion des animateurs va se faire d’emblée autour de la littérature de jeunesse qui donne ses  lettres de noblesse au Pal. À cela, deux raisons. La première est la faible présence de la littérature dite « pour les jeunes » dans les pratiques scolaires (quand bien même le concept de BCD a plus de dix ans).On peut affirmer que le Pal permet d’intensifier (voire de lancer !) les rencontres entre les enfants et cette production littéraire. Il offredans le même temps l’occasion  aux enseignants et aux animateurs de se familiariser avec la production, les réseaux de lecture publique et les lieux d’animation. La seconde raison est que cette assimilation des pratiques de lecture à l’usage de la littérature permet de rester à distancede trois autres axes moins rassurants et donc davantage porteurs de débat, sinon de contestation : le journal interne, l’écriture et la réécriture et le projet à commande sociale.

Toujours est-il que les ateliers  autour de la  littérature se développent très fortement (animations, présentations de livres, venue d’auteurs ou de conteurs, lectures entre pairs, etc.). Outre ces ateliers d’étayage culturel, on reconnaît aussi des projets dont l’objet est une production qui s’alimente à la littérature (écrire un conte en direction des plus petits, apprendre à conter à des plus petits, animer une vitrine de libraire, argumenter une sélection critique pour un libraire, participer au comité de lecture de la bibliothèque municipale, etc.). Enfin, la littérature peut être un traitement particulier de la réalité, d’une question qui se pose au groupe ou à un de ses membres (« grandir » est une question pour le groupe : on prévoit de faire une présentation de livres, d’intégrer des extraits dans le journal, de mener une recherche des traitements comparés de la question dans la littérature, de susciter un débat contradictoire, etc.).  

Néanmoins, la littérature au sein du Pal reste très majoritairement pensée comme une innovation pédagogique. L’idée qu’elle devrait être plutôt considérée comme innovation sociale en tant qu’elle permet aux enfants d’envisager une représentation du monde et de s’emparer des formes de pensée qui la sous-tendent  ne fait réellement son chemin que pour une minorité.

 

b)    La systématisation

La formation a permis de découvrir les logiciels d’entraînement à la lecture et, via ELMO et ELMO0 puis ELMO international, de revisiter l’acte lexique. Le travail d’accompagnement des équipes doit revenir en permanence, dans les premières années, sur la nécessité de ne pas couper cet aspect des apprentissages des autres activités du module PAL. De même, il faut souvent rappeler le caractère impératif de phases de confrontation et d’échanges avec l’animateur et avec les pairs afin de « savoir ce qu’on sait ».

Autre tâche d’accompagnement importante : la réflexion sur l’utilisation d’ELMO international. Les équipes rechignent à l’utiliser : il faut entrer les textes, se constituer une bibliothèque et, autre aspect du problème, on ne sait quels textes utiliser. L’idée de travailler sur les textes produits par le groupe ne vient pas d’emblée à l’esprit, il n’y viendra, là encore que pour quelques-uns, au fur et à mesure de l’avancement du dispositif…

 

c)     L’écriture

C’est bien sûr (avec l’idée de projet en commande sociale) cet axe qui résiste le plus ! Il renvoie à deux questions : celle de la propre difficulté des animateurs - où les enseignants sont majoritaires !- à écrire… Celle, une nouvelle fois, de la place de l’enfant : au début du dispositif, il y a eu des affrontements de l’ordre du religieux dans la maison laïque : « on ne saurait toucher au texte d’un enfant ! Un texte d’enfant a un caractère sacré ! » Là encore, Jean-Pierre Bénichou a su tenir toute sa place dans un débat… musclé !

La période « écriture du conte » aura cours. L’influence du groupe d’Ecouen (GFEN)jouera aussi sur une partie des animateurs : on travaillera sur des types de textes. La nécessité de lier écrire et communiquer  impose l’idée du journal à de nombreux sites. Les choix de mise en œuvre s’organisent alors autour de deux démarches. 

Extrait du projet de travail d’un groupe de formation-recherche sur le journal en 1999 : « Un premier type de journal se rapproche du « journal scolaire ». Il comporte différentes rubriques retenues par le groupe. Il rend compte de moments vécus, notamment de sorties et visites. On souhaite motiver les enfants et on leur permet ainsi de concevoir et proposer des jeux, mots mêlés, etc. à côté d’une rubrique « sports » très prisée des garçons. Ce journal est distribué à des échéances variables. Une question se pose toutefois : qui le lit ? Quel intérêt peut-il avoir pour d’autres lecteurs que les enfants qui l’ont conçu – et encore qu’y découvriront-ils qu’ils ne sachent déjà ? »

Le second type de journal est un outil au service du module et de son fonctionnement.  Son objectif essentiel est de permettre aux personnes, enfants et adultes, d’utiliser l’écrit pour penser et, par là, donner toute son épaisseur à ce qui se vit dans le groupe. Cela sous-entend deux nécessités : avoir quelque chose à dire d’intéressant pour les autres ; pouvoir échanger le plus fréquemment possible. On parle alors de journal en circuit court. Cette démarche suppose deux préalables :

- que le statut de l’enfant soit  reconsidéré : il écrit « depuis sa position propre ». Le journal recueille alors  différents points de vue, opinions, suggestions passés au filtre de la réflexion écrite.

- qu’un débat ait lieu  ensuite, lors de la lecture du journal en groupe. On peut ainsi réagir sur tel article, sur ce qu’il me dit à moi lecteur interprétant un message et renvoyer à celui qui l’a écrit, puisqu’il est présent, ce qu’on a compris de ce qu’il voulait dire.

La richesse formatrice d’un tel dispositif tient au fait que le travail de réécriture a des prolongements. Dans cette démarche, l’adulte met son expertise au service de l’enfant et lui renvoie « une » lecture de son article. À lui, de se positionner, face à cette proposition au cours d’un débat. »  

On peut affirmer que le Pal a permis la mise en écriture, ce qui est déjà considérable. L’idée d’utiliser l’écrit comme outil pour penser gagnera progressivement du terrain. De là à réécrire dans un intellectuel collectif…

 

d)    Le projet, quel projet ?

L’idée même de projet ne va pas de soi pour les animateurs - et particulièrement pour les enseignants - du Pal. Projet est lié à motivation : projet = donner envie d’apprendre. Le travail d’accompagnement des équipes mené par la coordination va donc tenter de détacher thème et projet puis de défendre le nécessaire caractère de transformation collective lié au projet, indissociable des apprentissages. Il faut noter que le lancement du module 1 (essentiellement moyenne et grande section) conduit à minorer encore la portée et l’importance de la production à entreprendre.

Extraits du rapport d’activité de 1995 : « Le projet, tel que nous l’envisageons, n’est pas à rapprocher de la notion de thème qui impliquerait d’amener l’enfant à suivre un enseignement « motivant » mais entièrement pensé pour lui. Le projet n’est pas cette organisation dont chaque élément, y compris la réalisation finale, est modelé par l’adulte. Notre conception du projet suppose son implication sociale : le projet doit déboucher sur un produit utile aux autres, utilisable par les autres. D’où le caractère incontournable d’une commande sociale pour justifier sa réalisation. »

Un bon nombre d’animateurs du Pal font leur l’affirmation de Josette Jolibertdans son ouvrageFormer des enfants lecteurs[3] : « C’est dans la mesure où on vit dans un milieu sur lequel on agit, dans lequel on peut - avec les autres - discuter, décider, réaliser, évaluer... que se créent les situations les plus favorables à l’apprentissage. À tous les apprentissages, pas seulement celui de la lecture. Et ceci est valable pour tous, adultes compris. »

La question de la commande sociale demeure ainsi entière. Le même rapport d’activité enfonce le clou : « Pourquoi   des   productions soumises à une« commande sociale » ? Si des partenaires (une entreprise, une bibliothèque, un commerçant, un centre de formation d’adultes,...) commanditent à un groupe d’enfants un projet à réaliser et qu’ils les associent à sa conception, on verra sans doute les effets suivants :

- L’action pédagogique est ancrée dans le tissu social, puisque c’est lui-même qui lui donne son sens ;

            - Le statut des enfants « bouge » à l’occasion d’un apprentissage qui prend tout son sens parce qu’il est demandé par un groupe social ;

            - Le statut des commanditaires « bouge » aussi, par le renvoi des enfants  sur le fonctionnement et la réalité de l’institution ; une exigence  sera posée quant à la production, qui fixe des règles en fonction des destinataires ciblés et de ce qui existe déjà ;

            - Des professionnels travaillent avec les enfants, dans un rapport d’apprentissage mutuel non simulé.

Sur un site Pal, il est donc intéressant de repérer les partenaires susceptibles de passer commande, et d’engager les enfants dans des projets d’action réelle qui seront autant de raisons d’apprendre ! »

Quelques projets inscrits dans une commande sociale voient le jour. Un exemple fera des petits : la vitrine du libraire. Une librairie adresse une commande aux enfants de modules 2 et 3 d’un site Pal : la réalisation de sa vitrinesur le thème de Noël.Outre ce travail, une exposition-présentation de livres sur le même thème est réalisée un mercredi matin par les enfants pour les clients de la librairie.

Sous l’impulsion de Jean-Pierre Bénichou et de la coordination, les réunions de rentrée des responsables de sites sont dès lors l’occasion de poser la question de recherche de commanditaires et d’échanges de ressources. Le Pal franchit ainsi une nouvelle étape sans faire, loin s’en faut, l’adhésion de tous…

 

III   Bilan ?

Jean-Pierre quitte le Pal en 2004. La coordination pédagogique est rattachée au Conseil général. J’y resterai jusqu’en 2007 pour tenter d’opérer une transition allant dans le sens du cahier des charges initial. La réforme gouvernementale de l’aide personnalisée justifiera la fin du dispositif en 2010. Je ne jouerai pas avec des « Je me souviens »… J’en retiens un seul : le jour des adieux de 2004. Je me souviens de la grande et sincère émotion dans la salle où étaient présents les responsables de sites et de ce qui se voulait un rappel de la responsable du secteur éducation du Conseil général : Jean-Pierre Bénichou avait mené le travail de coordinateur du Pal sans aucune rémunération, depuis la création du dispositif. J’ajoute qu’il ne l’avait bien sûr déclaré à personne…

Si le Pal n’a pas donné tous les fruits espérés, il a profondément marqué les pratiques pédagogiques de l’époque et sa dynamique a permis de reconsidérer les statuts des acteurs, enfants et adultes. Le Pal a su porter le besoin d’articuler efficacement pratiques et théorisation, théorie et pratique en donnant tout son sens à une forme de recherche- action. Et Jean-Pierre Bénichou a su porter l’ensemble de ce travail. Avec son art de communiquer et de reconnaître sa place à chacun. Avec tout à la fois ténacité et humilité, exigence et respect. Autant des enfants que des adultes.

Je t’offre comme preuve d’amitié, Jean-Pierre, ce rêve qui serait de considérer caduque la constatation de Fénelon :« D’ordinaire ceux qui gouvernent les enfants ne leur pardonnent rien, et se pardonnent tout à eux-mêmes» et profondément présent le vœu d’Alain :    « On dit que les nouvelles générations seront difficiles à gouverner. Je l’espère bien. »

 

Serge Herreman  29 octobre 2014



[1] Guy Coq, philosophe, « Tiers lieu éducatif et accompagnement scolaire », Migrants-Formation, n° 99, décembre 1994
 « […] Dans le mouvement moderne d’ébranlement des institutions, on compte alternativement trop sur la famille ou trop sur l’école. […] » D’où l’idée d’un troisième lieu éducatif dont l’une des formes peut être l’accompagnement scolaire.

[2] Serge Boismare, ancien enseignant spécialisé, « L’enfant et la peur d’apprendre », Dunod 1999, pose le problème des enfants pour lesquels le système scolaire est en échec et insiste sur le fait qu’on ne résoudra rien en « leur donnant plus de ce qui ne marche pas ».

[3] Josette Jolibert, « Former des enfants lecteurs », Hachette Éducation, 1994

Soumis par   le 25 Janvier 2015